La nouvelle règlementation d'approvisionnement en produits de large consommation imposée aux grossistes et détaillants, a provoqué un véritable cataclysme sur les principales places commerciales informelles du pays. Cette mesure, qui exige la fourniture par les détaillants (aux grossistes et transformateurs) de documents sur leurs activités, notamment le registre de commerce, l'achat par facture et leur bilan comptable, ainsi que l'utilisation du chèque pour les paiements de marchandises, a secoué le marché parallèle dans son intégralité. Tous les maillons de cette chaîne “informelle” sont ciblés. Si les grossistes des espaces non-officiels de Semar, du Hamiz, d'El-Harrach… ont pu, tant bien que mal, s'adapter à cette décision gouvernementale, les petits détaillants informels, en revanche, en ont subi les conséquences. Ils sont tenus de se conformer à la loi, faute de quoi, ils seront interdits d'activité. N'ayant pas les moyens matériels et financiers et les qualifications nécessaires pour rentrer dans le circuit officiel, ces marchands occasionnels ont choisi, contre vents et marées, l'option du maintien de leur business. Ils font fi de toutes les lois régissant les activités commerciales. Ils sont, en fait, devant un dilemme : officialiser leur commerce demande des capacités multiples inaccessibles et s'ils poursuivent leur activité informelle, ils risqueront d'être débusqués par les contrôleurs. Et dans ce cas précis, c'est tout un avenir qui se rembrunit. Pis, tant de familles et autant de bouches à nourrir qui ne trouveront pas de quoi se sustenter. L'informel reste ainsi le seul expédient entre les mains des nécessiteux, des sans-revenus, des sans-postes de travail, voire des sans-perspectives. Tenter d'éradiquer, un tant soit peu, ce phénomène, c'est remettre en cause l'avenir de toute une couche sociale démunie. Ce qui, par conséquent, provoquera moult réactions, souvent violentes de la part de cette catégorie de citoyens. Les fâcheux évènements, marqués par des émeutes, saccage d'infrastructures, blocage de routes…, déplorés ces derniers jours à travers plusieurs régions du pays, ont un lien direct avec les récentes mesures gouvernementales. Les agissements de ces jeunes citoyens forment en réalité ce cri de sédition, lancé à l'égard des gouvernants. Ils n'ont d'autre alternative que ce circuit parallèle afin de d'assurer quelques entrées financières, quand bien même illégales. Et si l'on ose extirper ce commerçant de fortune de son “tbezniss”, l'on coupera les vivres à toute une famille. À l'origine, l'exclusion sociale ! L'informel demeure, donc, cette alternative vitale pour des femmes au foyer, des adultes ayant perdu leur emploi, et même des enfants et les jeunes gens qui arrivent sur le marché de l'emploi. Le secteur emploie des milliers de chômeurs qui, souvent, justifient leur “débrouillardise” commerciale par la fermeture des portes du marché de l'emploi légal. L'économie parallèle est considérée comme une économie solidaire. Beaucoup d'experts et analystes estiment que l'émergence de ce secteur de par le monde est essentiellement due à l'exclusion sociale. Il faut reconnaître que les pouvoirs publics ont, depuis très longtemps, autorisé implicitement ce secteur. Mieux, un ministre en charge de l'économie a reconnu que ce laisser-faire est utile pour préserver la paix sociale, l'Etat étant incapable de fournir du travail à tous. Résultat des courses : le phénomène a pris des proportions alarmantes en Algérie. Les manques à gagner fiscaux engendrés par ce fléau sont assimilés par l'Etat à des transferts sociaux de fait. C'est dire le poids de l'informel sur le plan sociétal et sociologique dans notre pays. Le secteur informel est, selon des experts, dû à l'évolution du système économique qui rejette les plus faibles et les moins qualifiés. S'il est devenu par la force des choses un palliatif au chômage, à l'érosion du pouvoir d'achat, il n'en demeure pas moins qu'il représente une menace sérieuse et un danger permanent pour l'économie nationale. Selon certaines statistiques, en Algérie, l'économie informelle représente 50% de la taille de l'économie nationale. Le Forum des chefs d'entreprise (FCE) évalue la part du secteur à environ 600 milliards de dinars, soit 17% de l'ensemble des revenus primaires nets des ménages algériens. Selon un responsable au ministère du Commerce, 35% du marché des fruits et légumes active dans l'informel. Ces quelques chiffres illustrent parfaitement l'ampleur de ce marché qualifié d'invisible mais géré de manière structurée par ses acteurs. Le marché de l'automobile est menacé par le phénomène de même que les produits électroménagers, les médicaments, les produits cosmétiques et même les produits alimentaires. Les plus grandes firmes installées en Algérie ne déclarent pas, également, leurs employés comme le reconnaissent les officiels du secteur du travail. Pire encore, certains opérateurs décident de se reconvertir pour aller exercer leur métier dans l'ombre. Ces décisions prises par l'exécutif, faut-il le souligner, en dépit de leur nécessité, devraient être exécutées de manière progressive et intelligente. Il aurait été plus sage et rationnel de procéder par étapes. Une base de données et une étude approfondie s'avèrent indispensables avant toute action pour éviter les dommages collatéraux. L'idéal c'est de mettre tous ces hors-la-loi sur le circuit formel et officiel progressivement et de ne pas lutter contre eux de manière brusque et irréfléchie…