Avec ses dix milles six cent habitants, M'chouneche se trouve hélas dans un cul-de-sac. L'unique route qui la traverse, telle une voie ferrée, ne l'aide point à se libérer de l'enclavement. M'chouneche était commune mixte. Elle était un pôle touristique et artisanal incontournable dans le circuit touristique Aurès. M'chouneche constituait un décor naturel où un bon nombre de films ont été tournés. En somme, on a l'impression qu'on n'invoque M'chouneche que pour parler de son glorieux passé. Qu'en est-il du présent ? Pourquoi uniquement ce regard rétro, chargé de nostalgie et de beaucoup de tristesse. Le petit village n'a pas su grandir. Ses différents atouts touristiques (palmeraies, cours d'eau comme Ighzar à Mellal, sa riche faune, ses arbres fruitiers, les vues imprenables des gorges … ) n'ont pas trouvé la bonne prise en charge. Au contraire, ce patrimoine meurt à petit feu, et le sauvetage n'est pas pour demain. Avec ses dix milles six cent habitants, M'chouneche se trouve hélas dans un cul-de-sac. L'unique route qui la traverse, telle une voie ferrée, et après une bifurcation bien sûr, ne l'aide point à se libérer de l'enclavement, même si les responsables de l'Assemblée populaire de la commune, que nous avons rencontrés, parlent d'une nette amélioration dans la fluidité et la disponibilité du transport, d'une manière générale. M. Djimaoui, vice-président de l'APC, nous dit à ce sujet : “Nous avons dix minibus qui assurent la liaison avec le chef-lieu de wilaya Biskra, mais cela reste insuffisant. Ce sont des transporteurs privés qui exploitent la ligne mais avec un cahier des charges bien précis. Aussi, nous possédons quatre bus solidarité qui se chargent du transport scolaire. Dans le secteur de la santé, nous sommes très satisfaits, après la réalisation d'une polyclinique qui répond aux besoins de la population, longtemps privée d'une telle infrastructure. Dix médecins généralistes, une permanence, six lits d'accouchement, dix sages-femmes, le centre de santé reçoit même des malades des wilayas limitrophes.” La région de M'chouneche connaît une nette baisse du nombre de décès dus à l'envenimation par les scorpions grâce à l'ouverture de ce centre de soins équipé pour la circonstance et qui permet une prise en charge rapide et efficace. Vient ensuite le sujet crucial et qui fâche : la pollution du cours d'eau Ighzar à Mellal. C'est depuis une vingtaine d'années que les riverains d'Ighzar à Mellal, aussi bien à M'chouneche que dans les autres villes et villages (Chir, Arris, Inoughissen), entendent parler d'un projet de réalisation de bassins et de retenues d'épuration. Qu'en est-il vraiment de ce projet ? Nous avons posé la question à M. Djimaoui qui nous a donné cette réponse : “Un bureau d'études bulgare avait réalisé une étude, il y a 5 ans, mais sans suite. Il y a certainement un souci de moyens financiers, car ce genre de projet nécessite une grande enveloppe.” En attendant, le cours d'eau, dont le nom et la mémoire populaire ne font qu'un, meurt en silence. La responsabilité est partagée. Les citoyens l'ont transformé en décharge publique, où les fausses sceptiques et toutes les canalisations des eaux usées déversent directement dans le lit d'Ighzar à Mellal en toute impunité. Des palmeraies dont le nombre des dattiers dépassent le millier s'acheminent vers une mort très prochaine et inéluctable. S'ajoutent les dangers sur la santé publique. Le médecin responsable de la polyclinique, M. Si El-Abdi, nous informe que l'eau du oued qui était claire et limpide, il y a seulement quelques années, est devenue très dangereuse pour la santé. Pour preuve, les cas de leishmaniose signalés. La poterie fait de la résistance. Une petite unité de poterie (société d'artisanat), avec ses vingt-huit employés, refuse d'abdiquer et s'accroche tant bien que mal, avec les moyens du bord, pour pouvoir continuer à façonner des ustensiles et objets pour différents usages, mais aussi répéter des gestes millénaires et dessiner des motifs que seule la mémoire populaire a su préserver d'un oubli certain. Sur les lieux de travail, les conditions ne s'y prêtent point, mais les artisans ne se découragent pas pour autant. Un ancien élève de l'Ecole des beaux-arts, F. Smaïl, qui exerce comme décorateur formateur dans l'unité, ne demandant pas beaucoup pour la relance de cette petite fabrique, nous dit : “Avec peu de moyens et en dépit de la vétusté des machines, on arrive à avoir des clients des quatre coins du pays, mais aussi former de jeunes artisans. Nous avons besoin d'un matériel performant. En ce moment, nous avons 4 fours en panne, ainsi que le séchoir. Cela nous pénalise et on n'arrive pas à répondre aux commandes que nous refusons parfois.” En dépit des difficultés, les différentes opérations sont respectées : préparation, tour et façonnage, four et décoration, et au bout de la chaîne, toujours des clients fidèles, dont certains font des milliers de kilomètres, car ils connaissent et apprécient la poterie d'Imsounine. Comment expliquer qu'une aussi belle oasis, avec ses arguments touristiques de toute beauté, ne possède pas un seul hôtel pour accueillir d'éventuels touristes qui ont déserté la région depuis belle lurette, après l'avoir aimée et visitée des milliers de fois. La Mecque des Berbères des années 1970 et 1980 fait face à plusieurs handicapes. Le plus redoutable reste le tribalisme. De l'aveu même des responsables que nous avons rencontrés, cet état d'esprit empêche et bloque d'une certaine manière le développement local. Il est impossible de programmer ou de réaliser la moindre infrastructure, sans rencontrer d'énormes difficultés et entraves. Pourtant, l'intérêt général prime et les citoyens que nous avons rencontrés espèrent et souhaitent que leur village renoue avec l'activité touristique de jadis. Les livres saints racontent l'histoire d'Adam et Eve qui ont quitté le paradis par punition. Dans le cas de M'chouneche, c'est le paradis qui se fane et toujours par la faute des hommes.