Combien sont-ils mesquins, combien sont-ils hors-jeu ! Ceux qui recommandent, plutôt ordonnent d'interdire un livre ou un sourire. Ils jouent hors cette machine magique appelée : histoire. Hors l'air du temps. En ce temps qui ne ressemble qu'à son miroir, où la géographie est ouverte, sans remparts, sans muraille de Chine, le savoir, l'information et la communication surviennent des quatre vents et circulent comme circule le sang dans un seul corps. La terre est devenue un seul corps. Ça me fait rire, tristement rire, en ce temps où la distance, n'importe quelle distance entre les gens, les religions et les cultures, est devenue virtuelle, dans le monde arabo-musulman on censure un livre, on interdit une conférence ou on bloque un site Internet. En notre temps, par ses référents technologiques ouverts, l'intelligence humaine est devenue un droit humain, un acquis partagé entre tous les habitants, ou presque, de cette boule bleue, verte ou jaune ! Peu importe. Dans ce monde arabo-musulman, les derniers retardataires de l'histoire sont les censeurs ! Et ils seront les premiers qui plieront, un jour proche, leurs camps ! Et les premiers qui prépareront leurs linceuls noirs ! La culture et l'art, dans ce monde arabo-musulman, des siècles durant, ont souffert des censeurs. Basta ! Kifaya ! Bezzaf ! Barcha ! Yasser ! Et ils sont toujours là ! Sous la gorge ! Fouiner entre les mots et les lettres qui reflètent cette réalité amère, folle et absurde. Il était une fois, disaient les livres savants, mais ma grand-mère disait machaho : “Lui, il s'appelait Ibn Moqla, calligraphe sans pair. Le bourreau, c'était le calife Al Radhi Bi Allah autoproclamé l'Ombre d'Allah sur terre. Cela s'est passé au Xe siècle. Accusé d'avoir critiqué le calife, ce dernier ordonna de trancher la main droite d'Ibn Moqla. Chose faite ! L'artiste n'a pas baissé le bras. Il éduqua sa main gauche. Et il fait des merveilles. Accusé, une deuxième fois, d'avoir trompé le calife, et sa main gauche fut mutilée ! L'artiste n'a pas baissé les bras, même s'il n'avait plus de bras ! Il produisit des chefs-œuvre en tenant le calame de roseau entre ses orteils ! Une autre fois, accusé, le calife l'Ombre d'Allah sur terre ordonna de couper les pieds d'Ibn Moqla à hauteur des chevilles.” Certes, Ibn Moqla est mort en 910, mais il est toujours vivant dans la beauté de la calligraphie arabe, dans la résistance culturelle. Un mythe. Mais qui, parmi nous, retient le nom de ce calife, qui a coupé les mains, les pieds et la langue d'Ibn Moqla ? Personne. L'histoire humaine ne conserve que les noms de ceux qui ont fait du beau et du bien. Accusé par les orthodoxes islamiques de blasphème et de manichéisme, le célèbre écrivain Abdallah Ibn El Muqaffaâ (720-757), étonnant manieur de la langue arabe, traducteur de Kalila wa Dimna, fut exécuté par le calife Al-Masour. Démembré et jeté vif dans le feu, une mort tragique dont les détails seraient, siècle après siècle, colportés par les caravanes. Aujourd'hui, treize siècles sont écoulés, l'histoire a effacé le nom du bourreau et, génération après génération, Kalila wa dimna est toujours là, lu et relu et apprécié dans toutes les langues. Des fins tragiques pour des écrivains éternels ou de leurs écrits. Les censures draconiennes qui ont frappé les meilleurs livres de la civilisation arabo-musulmane : le célèbre poète Bachar Ibn Burd (714-784), Ibn Hazm (993-1064), Ibn Ruchd (1126-1198), Al Maârri (973-1057), Al Hallaj (857-922) Ibn Al Khatib (1313-1374) et d'autres. Les censeurs partiront un jour, s'éclipsant dans les ténèbres de l'oubli, seuls les artistes demeureront. Ils sont pérennes ! Est-ce que les censeurs d'aujourd'hui, made in “hors couverture”, “hors-champ”, “hors-jeu” ont-ils lu l'histoire ? Certes, au temps révolu de Bachar Ibn Burd, d'Ibn Hazm, d'Ibn Ruchd, d'Al Maârri, d'Al Hallaj, d'Ibn Al Khatib et les autres, le censeur avait en sa possession tous les pouvoirs. Il contrôlait tout ce qui bougeait ! Il avait l'appropriation absolue de tous les moyens de communication et d'information. Ainsi, le censeur exigeait une écriture de l'histoire sur mesure. Malgré cette mainmise, il y avait des écrivains de la résistance qui, dans leur marginalité, dans la peur, dans le danger de mort ont pu enregistrer l'histoire avec un courage intellectuel exceptionnel. Aujourd'hui, nous sommes en 2011 selon l'ère grégorienne, en 1432 selon l'ère hégirienne et en 2961 selon l'ère amazighe, et les censeurs arabo-musulmans sont encore basés dans l'air d'Arradhi Billah, Al Mansour et les autres. A. Z. [email protected]