Un an après les faits survenus au sein de la Sonatrach qualifiés de “sérieux et inadmissibles” par le ministre de l'Energie et des Mines, cette dernière n'a pas été déstabilisée et a même fait preuve d'une résilience remarquable. Le groupe Sonatrach a ainsi réalisé en 2010 des recettes d'un montant de 55,7 milliards de dollars même s'il y a eu “un léger repli et non pas une régression” de la production. Il faut effectivement reconnaître que cela n'est pas dû au simple effet mécanique de la remontée des prix après la crise de 2009. Cette résilience n'est pas uniquement le fait des hommes et des femmes qui constituent la Sonatrach d'aujourd'hui ; elle est également le produit de sa longue et riche histoire, qui a fait son identité. Il faut se rappeler qu'elle a traversé, depuis sa création, au lendemain de l'indépendance, des crises de toute nature qu'elle a su gérer : prise en main sans expérience ni ressources des installations de production abandonnées après les nationalisations (1971), crise des prix et arrêt brutal des usines de GNL (1980), guerre des prix du pétrole et désinvestissement (1986), décennie du terrorisme (années 1990) et enfin crise de 2008 avec la division par deux des recettes annuelles en 2009. Mais au-delà de la responsabilité pénale des gestionnaires qu'il faudra coupler avec des “mesures de manière d'abord à sécuriser les responsables” sans lesquelles toutes les initiatives seront bridées, il me semble qu'il y a un vrai problème de gouvernance et d'identité pour la Sonatrach comme d'ailleurs pour l'ensemble des sociétés nationales d'hydrocarbures dans le monde. Ces questions de gouvernance portent évidemment sur les conditions du management interne et quelquefois sur des dérives dont on a parlé plus haut qu'il faudra réduire. Ce qui renvoie à la qualité de procédures de gestion mises en place, au niveau de l'efficacité des systèmes de contrôle interne, à la qualité du staffing (recrutement approprié et non clientéliste), au niveau des salaires servis aux cadres dirigeants et employés et enfin à l'adhésion de ces derniers à la culture de leur entreprise. Elles portent aussi sur l'évolution des rapports de la Sonatrach avec son unique actionnaire qu'est l'Etat, représenté par son ministre de tutelle et ses autres membres de son assemblée générale et son conseil d'administration. Je voudrais m'appesantir sur la nature de cette problématique qui n'avait été généralement évoquée dans le passé qu'en termes de réduction de la toute puissance de la Sonatrach qualifiée alors “d'Etat dans l'Etat”. À ce propos, les interventions de l'Etat sur la gouvernance de la Sonatrach ont revêtu historiquement plusieurs formes avec des effets différents sur la gestion et la stratégie de l'entreprise. Quelquefois, les crises vécues par la Sonatrach ont été initiées et même entretenues par des crises de gouvernance politique lorsque le consensus venait à rompre (gestion de la crise contractuelle sur les prix avec El Paso en 1977, arrêt des programmes d'investissement en cours dans le GNL, le raffinage et la pétrochimie en 1979, controverse sur la révision de la loi sur les hydrocarbures de 2005 à 2006.). Dans d'autres situations aussi complexes, les initiatives prises dans la sphère politique ont eu des effets favorables sur la Sonatrach comme par exemple la loi sur les hydrocarbures de 1986 révisée en 1991 qui a ouvert à l'investissement étranger l'amont hydrocarbures et qui avait fait de l'Algérie le premier pays découvreur dans le monde en 1998. Un autre exemple positif que l'on peut relever avait été la restructuration réussie de la Sonatrach dans la décennie 1980 contrairement à celles opérées sur la plupart des autres entreprises publiques. Enfin, il y a eu des cas pour lesquelles les décisions politiques prises l'ont été en retard de phase par rapport à l'agenda d'investissement de la Sonatrach. On peut citer par exemple celle relative à la renégociation à la baisse des taux de participation des partenaires étrangers dans les projets pétrochimiques nationaux. Initialement, la Sonatrach avait considéré que sa participation significative mais minoritaire impliquerait davantage ses associés étrangers dans l'investissement et l'accès aux marchés internationaux d'autant que son expérience passée dans l'aval n'avait pas été probante. Il aurait fallu tout simplement s'en tenir au traitement au cas par cas. On peut citer d'autres exemples. Mais des situations similaires sont également vécues par d'autres sociétés d'hydrocarbures nationales. Prenons cependant le contre-exemple du Venezuela dont on aurait pu croire, a priori, à l'emprise complète de l'Etat bolivarien sur sa société nationale Petroleos De Venezuela SA. La récente thèse soutenue par Benhassine Achref le 12 décembre 2008 à l'Université Pierre-Mendès-France de Grenoble et intitulée : “Gouvernance et régulation dans l'industrie des hydrocarbures vénézuéliens : une analyse des relations Etat-sociétés pétrolières” en donne une vision différente. Ainsi, pour cet économiste, la société nationale Petroleos De Venezuela a progressivement “acquis un rôle et une dimension politique au sein de l'industrie, ne permettant plus à son actionnaire unique qu'est l'Etat de faire la moindre intervention marginale dans le secteur pétrolier”. Mais néanmoins on ne peut affirmer, à mon avis, que “deux logiques s'opposent au sein de la sphère publique des industries pétrolières nationales, la logique rentière de l'Etat qui consiste à privilégier l'apparition des rentes avant les profits et la logique capitaliste de la société nationale qui privilégie l'apparition des profits avant”. Pour conclure sur la société nationale pétrolière qui nous intéresse le plus la Sonatrach, on peut tout simplement observer que les choix stratégiques de long terme sont, malgré tout, encore à faire entre diversification ou recentrage sur les métiers de base et redéploiement interne ou internationalisation effective. Une fois que cela sera fait, on aura une meilleure idée sur l'évolution de l'identité de la Sonatrach et sa véritable marge de manœuvre en matière de gouvernance. Le rendez-vous est pris.