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À Sidi-Bouzid, avec la famille Bouazizi
TUNISIE
Publié dans Liberté le 31 - 01 - 2011

Le 17 décembre, à Sidi-Bouzid, une ville pauvre et oubliée du centre de la Tunisie, un marchand de fruits et légumes de 26 ans, Mohammed Bouazizi qui vient de se faire saisir la marchandise qu'il vendait illégalement, s'immole par le feu, devant le siège du gouvernement régional. Un geste de désespoir qui enflamme la Tunisie et entraîne la chute du régime Ben Ali. Histoire d'un anonyme devenu une icône, qui incarne aujourd'hui la liberté et la dignité de tout un peuple.
Sidi-Bouzid, une ville perdue du centre de la Tunisie, oubliée du pouvoir, méprisée des puissants… Oubliée jusqu'à ce vendredi 17 décembre 2010.
Un jour de prière, où à deux pas de la mosquée, devant le siège du gouvernorat de la municipalité, un jeune homme, ivre de désespoir, s'immole par le feu.
Mohammed Bouazizi n'est pourtant pas un révolutionnaire. Il n'est affilié à aucun parti. Il ne fait pas de politique. Aux dires de ses sœurs, de ses cousins, de ses voisins, c'est un jeune homme tranquille, sans histoire, dont l'obsession première est de faire vivre ses six frères et sœurs, sa mère Manoubia et son beau-père Omar, chômeur, comme près de 30% des 40 000 habitants de la commune.
Pour entretenir le foyer, deux adultes et six enfants (Salem, le fils aîné, 30 ans, marié a quitté la maison), Mohammed vend illégalement des fruits et des légumes à la sauvette, dans une charrette qu'il a transformée en étal. Or, ce 17 décembre 2010, la police locale lui saisit sa marchandise. En dix minutes, le garçon perd son gagne-pain. Une véritable catastrophe pour lui. Pour récupérer sa marchandise, Mohammed se rend au poste de police, s'explique, tente de convaincre les fonctionnaires. Peine perdue. Non seulement l'autorité ne l'écoute pas, mais on rit de lui, on l'insulte. Pire, les sbires du pouvoir le frappent. Une femme finit par le gifler. C'en est trop. Humilié, Mohammed court acheter un produit inflammable, revient devant le siège du gouverneur, et fou de honte, s'immole par le feu. Emmené d'urgence à l'hôpital, il meurt le 4 janvier 2011.
Tout aurait pu tomber dans l'oubli. Tant de crimes du régime sanguinaire de Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, sont restés impunis en Tunisie. Mais cette fois, les Bouzidiens réagissent. Le lendemain et les jours suivants, ils manifestent ouvertement. La police réprime. Mais la révolte tient et gagne les villes voisines. D'autres jeunes tombent. Six morts à Regueb, plus d'une vingtaine à Kesserine. Parties du centre du pays, les émeutes se propagent à tout le pays. “Et dire que tout a commencé chez nous”, soupire avec fierté Henni Assouna, un garagiste de 46 ans, qui n'en revient toujours pas. “Ben Ali nous détestait. Même dans les bulletins de météo de la télévision, Sidi-Bouzid n'était jamais citée. Quelle revanche ! Depuis quelques semaines, on parle de nous, non seulement à Tunis et dans les grandes villes du pays, mais dans le monde entier.” Henni Assouna pianote sur le clavier de son portable, clique sur la date du 17 décembre 2010 et raconte : “Dès les premières manifestations devant la wilaya, j'ai pris des photos avec mon téléphone, en faisant semblant d'appeler ma femme. J'étais terrorisé, car si la police avait découvert ce que je faisais, j'allais directement en prison.” Miracle des nouvelles technologies au service de la démocratie.
En rentrant chez lui, le garagiste envoie ses clichés sur d'autres sites. L'information fait tache d'huile. Ce jour-là, l'avocat bouzidien, Salhi Dhaer prend lui aussi des photos qu'il expédie aussitôt aux agences de presse étrangères et aux grandes chaînes de télévision : France 24, Euronews et Al-Jazeera. “Mon bureau est situé en face du lieu où Mohammed Bouazizi s'est immolé, raconte le juriste. Quand j'ai entendu les cris de la foule, je suis descendu. J'ai vu le garçon recroquevillé sur lui-même, la peau toute noire. Son sacrifice a été le détonateur. Sans lui, rien n'aurait été possible. Il a libéré notre parole.” Le 4 janvier, Mohammed Bouazizi décède au centre de traumatologie de Ben Arous,
près de Tunis, où il a été admis. Sa mort décuple la colère des Tunisiens et embrase la Tunisie tout entière. Le vendredi 14 janvier, sous la pression populaire Ben Ali doit démissionner et se réfugier en Arabie Saoudite avec son épouse Leïla. C'est la fin de 23 ans de dictature.
Ce samedi 22 janvier, devant le portail de la maison, plus d'un mois après le drame, Samia Bouazizi, la demi-sœur du martyr, hijab noir sur la tête confie : “Mohammed était le seul qui travaillait dans la famille. Avec les 10 dinars qu'il gagnait par jour (5 euros), il nous faisait tous vivre. Nous sommes cinq enfants. Ziad mon petit frère a 8 ans. Ma sœur aînée Leïla, 24 ans, a beau être diplômée en informatique, elle n'a pas trouvé d'employeur. Mohammed a dû arrêter le lycée avant de passer le bac, pour nous aider financièrement. Je vais devoir moi aussi stopper mes études pour subvenir aux besoins des miens.”
À 10 ans déjà, tout en allant à l'école, Mohammed multipliait les petits boulots pour soutenir sa mère. Veuve, dès 1987, de Taïeb, son premier mari, un maçon qui travaillait en Libye, Manoubia se repose sur son fils. Plus d'un an après le décès du père de Mohammed, elle épouse en seconde noce, son beau-frère Amar, l'oncle de Mohammed. Cinq enfant naissent de cette union. Trois filles, Leïla, Samia et Basma (24 ans, 19 ans et 16 ans) et deux garçons Karim, 14 ans et Ziad, 8 ans.
“Personne n'aurait pu s'imaginer que Mohammed, discret et invisible, allait devenir ce héros qui ferait chuter 23 ans de dictature, et enflammerait les pays voisins”, s'étonne Asma, 25 ans, une voisine de la famille… De son côté, Manoubia, la mère assure que son fils ne lui a jamais causé le moindre ennui. “Gamin, il adorait le football. Mais je lui interdisais d'y jouer, car je craignais qu'il oublie, néglige l'école. Ce furent nos uniques disputes”. Mohammed aimait l'école et son regret était de l'avoir quittée prématurément par nécessité. Ziad, le petit dernier, qui adorait son grand frère, raconte que ce dernier surveillait très sérieusement sa scolarité. “Si je travaille, c'est pour que tu puisses étudier”, me répétait-il tout le temps.
Depuis la mort de Mohammed et la chute de Ben Ali, la petite maison des Bouazizi, située à 10 minutes du centre-ville, dans une rue poussiéreuse en terre battue, ne désemplit pas. Un continuel va-et-vient. Outre la presse internationale qui défile dans le petit trois pièces, meublé sommairement, des voisins, des sympathisants, des inconnus viennent rendre hommage à la maman. Un passage ininterrompu de visiteurs qui attendent leur tour dans la cour, encombrée d'objets divers et de linge qui sèche sur une corde de chanvre.
Cet après-midi, Zahra Jilali, une femme d'affaires, établie aux Emirats arabes unis, originaire de Sidi-Bouzid, remet discrètement à la maman, une somme d'argent, en s'éclipsant aussitôt, sans un mot. Lui succèdent aussitôt, les responsables du Comité de résistance populaire qui se sont constitués au début du mois de janvier. Filel Yahyaoui, son fondateur, en définit les grandes lignes. “Le martyr de Mohammed ne doit pas rester sans lendemain. Nous entretenons son souvenir pour transformer notre région. Notre objectif est de mobiliser les dirigeants de demain sur l'avenir de cette partie oubliée de la Tunisie. Ici, les paysans doivent faire des kilomètres pour trouver un puits où faire boire leurs bêtes. Il faut que ça change. La mort de Mohammed nous aidera à développer notre région”. Le comité met sur pied un grand concert. La recette reviendra entièrement à la famille. De passage dans la maison, devenue un haut lieu de pèlerinage, Hakim Boukari, enseignant au collège de la ville, voit en Bouazizi l'équivalent “d'un Ghandi tunisien”.
En milieu d'après-midi, Rachida Nasri et sa fille Rahma, 21 ans, qui ont effectué en bus les 180 km qui sépare Kef, leur ville de Sidi-Bouzid, viennent implorer la maman du martyr pour qu'elle fasse libérer Walid, le fils aîné, emprisonné depuis un an par la police. Plus tard, c'est une société informatique qui installe gratuitement un réseau Internet. Aussitôt Leïla, Samia et Basma se connectent sur les nombreux sites qui parlent de leur frère. Le téléphone retentit : un riche émirati de Dubaï propose 20 000 dollars pour racheter la charrette, où Mohammed vendait ses fruits. La famille refuse.
À Sidi-Bouzid, c'est l'ébullition. Sur la place principale, un portrait géant du jeune martyr orne la façade de la poste. Jour et nuit, sans se soucier du couvre-feu qui tombe à 20 heures, hommes et femmes de la ville se relaient devant une tente de toile où le Comité de résistance populaire tient sa permanence. La place du 7-Novembre-1987 (date de prise du pouvoir par Ben Ali) a été rebaptisée place Bouazizi. Sur la table, Ryad Laïfi, un calligraphe local, dessine à la demande sur des bouts de carton blanc des slogans à la gloire de la Révolution et de son héros. Le centre-ville s'est transformé en une immense tribune politique. Les habitants se lâchent, s'expriment, échangent. “Bouazizi nous a redonné la parole”, affirme Dali Mohamed Chafaï, un chauffeur qui se loue à la journée, pour gagner sa vie. “Personne ne pourra plus nous arrêter”, ajoute le journalier.
Chaque jour à 18 heures, Mourad un fonctionnaire retraité, s'éclipse pour prendre le chemin du cimetière où est enterré Momammed. Mourad a besoin de se recueillir dans ce champ de tombes à l'identique, ouvert à tous vents, qui s'étend entre l'école primaire de Sidi-Salah et la localité de Sidi-Bannour, le village natal de la famille Bouazizi, à 16 km de Sidi-Bouzid. La pierre où repose le jeune sacrifié est recouverte du drapeau tunisien.
Dans les deux petites cavités, creusées sur le monument funéraire, Mourad verse
de l'eau. “Une coutume locale afin que les
oiseaux porteurs de paix, viennent s'abreuver”, explique l'homme, ému. “Certes en mourant, Mohammed a redonné vie et espoir à toute cette région méprisée, mais le danger serait de régionaliser sa mort. Son histoire dépasse aujourd'hui Sidi-Bouzid. Elle appartient à la Tunisie entière mais également à tous les peuples arabes, avides de justice et de dignité”.


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