Chers lecteurs, c'est la dixième fois que nous nous rencontrons à travers le journal Liberté pour débattre de la situation difficile de l'Algérie caractérisée par huit défis : politique, économique et social, culturel, sécuritaire, de gouvernance, moral, de mobilisation des élites, d'insertion dans un monde de plus en plus globalisé. C'est le moment d'en faire une synthèse et dresser le chemin en vue de leur dépassement. Vous l'aurez compris, face à ces défis, l'urgence d'une prise de conscience collective de la nécessité du changement du système de gouvernance, s'impose comme le fil conducteur et le point de départ de notre redressement. Tous ceux qui ont à cœur de sauver l'Algérie doivent faire de l'année 2011, l'année du travail ensemble pour la préparation et la réalisation de ce changement dans le calme et la sérénité. Ils doivent se mobiliser pacifiquement, à travers une transformation graduelle générée par les citoyens et appuyée sur les compétences nationales. L'alternative est claire : soit se mobiliser pour faire face à ces huit défis par une convergence vertueuse pour réussir dans les situations difficiles, soit laisser faire, en profitant copieusement ou maigrement ou pas du tout de la rente, et voir la société diverger vers un mélange détonant de perte de la morale collective, de corruption généralisée et de pauvreté. Les événements vécus depuis le 5 janvier 2011 confirment la justesse de notre analyse et l'urgence du passage à l'action. La société algérienne est en voie de perdre sa morale collective et elle dérivera durant cette décennie vers la dislocation de la nation. La violence sera, alors, le seul moyen de règlement des conflits. Seul un changement pacifique du système de gouvernance peut éviter au pays cette catastrophe. Je propose une démarche en trois étapes pour construire une démocratie solide : - une première période d'endiguement pour arrêter l'hémorragie ; - une deuxième étape d'achèvement des transitions, parce que cela fait plus de deux décennies que nous sommes dans la trappe de transition permanente, à savoir la démocratie de façade, ni système de parti unique, ni démocratie plurielle ; - une troisième étape de consolidation pour traiter des questions fondamentales de choix de société ; car on ne peut pas traiter objectivement des questions fondamentales pendant la transition, lorsque les rapports de forces sont fragiles et mouvants et les institutions sont en construction. Ce n'est que lorsque les rapports de forces sont bien établis et les institutions solidement ancrées que l'on peut faire ces choix fondamentaux. Notre mission est de faire de 2011, l'année préparatoire à l'étape d'endiguement, par la convergence entre les différentes initiatives pour le changement, dans le cadre d'alliances stratégiques et de construction de réseaux, pour la création d'un rapport de force et d'un pouvoir de proposition et par la jonction avec les fractions saines de l'administration et du pouvoir réel. De même le travail pour de grands progrès dans le sens d'une reconnaissance au sein de la société civile qu'en plus du socle commun très fort qui nous unit, nous devons aujourd'hui, tout naturellement, accepter et valoriser les apports culturels multiples qui ont sédimenté au cours de notre histoire et font de l'Algérie un pays d'une richesse fantastique, aux plans historique, linguistique, musical, artistique, culinaire, vestimentaire, architectural. C'est cette prise de conscience qui sera demain la base d'une politique culturelle visant à préserver et valoriser notre patrimoine, mais aussi la matrice de notre vouloir vivre ensemble dans le futur. Il est fondamental que 2011 soit l'année d'une nouvelle mobilisation de la société civile autour d'une exigence de sécurité physique et matérielle, de retour à une véritable paix civile et de dénonciation catégorique des restrictions liberticides faisant le lit à toujours plus de frustrations et de violences. Ces exigences doivent être exprimées clairement auprès de nos gouvernants. L'année 2011 verra, je l'espère, tous les citoyens algériens prendre conscience que notre salut en tant qu'Etat et nation ne peut venir que d'un système démocratique et d'une forte participation citoyenne aux prises de décision, à tous les niveaux. Je viens de lancer un appel pour le rassemblement des forces du changement pour la réalisation de cet objectif. Un Manifeste suivra. Face au constat de la perte de la morale collective, 2011 devra être l'année de la double prise de conscience suivante : - Nous devons, bien sûr, faire un examen critique personnel et en petits groupes pour remettre en cause les habitudes et attitudes délétères que nous avons prises au cours des dernières années, comme celle de contourner la loi pour arriver à nos fins, de pratiquer ou de nous soumettre à la petite corruption associée au moindre travail et service, d'irrespect systématique des codes du travail, de la route, de l'urbanisme, de la trahison des serments d'avocat, d'Hippocrate, des martyrs. - Mais je ne crois pas que nous parvenions à retrouver un mode de fonctionnement normal de notre Etat et notre société en nous changeant nous-mêmes, sans changer le mode de gouvernance de l'Etat et de l'administration. Le changement du système de gouvernance est le premier moyen de préserver un niveau moral minimal qui ne transforme pas la société en une vaste jungle, mais, je l'espère, en un espace agréable à vivre. En 2011, nos élites compétentes et dotées des qualités humaines et morales nécessaires à l'exercice des responsabilités doivent se mobiliser pour exiger de façon ferme et argumentée que les postes de responsabilité leur reviennent. La cooptation destructrice qui a cours entre personnes qui n'ont rien à faire aux postes qu'ils exercent à tous les niveaux de l'Etat, de l'administration et des entreprises publiques doit prendre fin le plus rapidement possible. En 2011, je propose concrètement que ceux qui sont en Algérie s'ouvrent en direction de nos compatriotes de l'étranger ayant atteint des postes de responsabilité pour participer avec nous à notre programme de rattrapage dans tous les domaines (sciences, institutions, technologie de l'information, médecine, gestion publique, management privé, préservation de l'environnement, hydraulique, énergie, tourisme, agriculture), y compris le volet du travail sur nos mentalités indispensable à cette œuvre gigantesque d'adaptation à la mondialisation, afin de tirer profit de nos atouts et devenir acteurs plutôt qu'être broyés. Les derniers événements en Algérie et en Tunisie ont montré l'utilité de telles forces et le coût de leur absence. Comme vous pouvez le constater, la feuille de route pour la réalisation du changement du système de gouvernance et l'instauration d'un régime démocratique effectif est très chargée. Elle appelle à une forte mobilisation et au travail en commun dans le cadre d'alliances stratégiques. Ensemble et unis, rien ne nous sera impossible. À la semaine prochaine, pour un nouveau thème.