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“Pas de rentrée avant décembre”
Farid Cherbal, membre du CNES, à Liberté
Publié dans Liberté le 28 - 09 - 2003

Loin des bruits feutrés des portes ouvertes sur l'université, vitrine d'une normalité prônée par la tutelle, ce délégué du CNES nous livre ses appréciations sur la prochaine rentrée qu'il juge lointaine, sur la réforme qu'il estime hasardeuse et revient sur les principales revendications de son syndicat. Il annonce également une série d'actions du CNES à partir du 4 octobre prochain
Liberté : Quel est votre bilan de l'année universitaire écoulée ?
Farid Cherbal : Le séisme de mai dernier ayant perturbé le bon déroulement des examens de juin, il a été décidé leur report en septembre, a contrario des ordres de l'administration qui voulait imposer un calendrier classique faisant fi du traumatisme vécu par l'ensemble de la communauté universitaire. Et alors que les moyennes durées pour certains et les synthèses pour d'autres se déroulent dans des conditions désastreuses que nous avions déplorées dès notre reprise, nous prévoyons un taux d'échec qui restera dans les annales, notamment concernant les troncs communs. J'en veux pour preuve le taux de réussite de 18% enregistré chez les biologistes augurant d'une année catastrophique, aggravant de fait le problème des places pédagogiques et de leur encadrement
Qu'en est-il de vos collègues sinistrés ?
Malgré les promesses faites au lendemain de cette terrible épreuve, force est de constater que rien n'a été fait pour prendre en charge notamment les 365 enseignants que comptent les wilayas touchées. Il faut savoir que 164 enseignants universitaires sur les 252 rattachés à l'université de Boumerdès ont vu leurs appartements classés orange et rouge par le CTC. Quant aux 62 collègues de l'USTHB qui se trouvent être dans la même situation, Cosider qui fait un travail exceptionnel de restauration sur des sites tels que l'Opipes à Dergana, prévoit un délai de 8 mois, soit l'équivalent d'une année universitaire, durant lequel les familles sont astreintes à quitter leur logis. Aussi, avons-nous décidé d'en appeler au ministère de tutelle afin que leur relogement se fasse dans les plus brefs délais.
Pensez-vous que la date du 18 octobre donnée tout récemment par le ministre de l'enseignement supérieur soit envisageable en termes de rentrée universitaire ?
Il y a une telle disproportion entre l'importance des dégâts et l'indigence des moyens mis en branle qu'il est parfaitement irréaliste de parler de rentrée avant début décembre. Les travaux de réfection des structures pédagogiques n'ayant, à notre grande surprise, commencé que le 28 août dernier, c'est un campus transformé en chantier que nous avons retrouvé à la signature de nos PV. Au-delà du danger potentiel que ces travaux constituent pour la communauté universitaire, nous avions demandé que davantage de moyens soient mis à contribution afin d'accélérer la cadence, tout en respectant les normes de sécurité. Vous constaterez avec moi la persistance des mêmes conditions, avec des fissures qui courent le long des édifices, des murs lézardés et des gravats à l'intérieur des laboratoires, alors que les rattrapages n'ont pas débuté, que les délibérations vont prendre du temps eu égard au nombre élevé d'étudiants et que les inscriptions des nouveaux bacheliers ne sont pas lancées. Tout cela va nous amener à fin octobre, date du ramadhan, que beaucoup de résidents évitent de passer dans les cités pour des raisons évidentes.
Comment expliquez-vous ce décalage entre votre discours et celui de la tutelle ?
Il y a une négation de la réalité du séisme, de la précarité des conditions qui en sont issues, dans l'espoir de donner l'illusion de la normalité. En fait, cette catastrophe a mis à nu l'incapacité de l'administration d'abord en tentant de réaliser des examens en juin sans tenir compte de l'impact psychologique induit par le séisme, puis en récidivant en septembre avec la remise en cause de la séquence normale des examens (EMD, synthèse, rattrapage) qui est l'apanage des seuls comités pédagogiques. Les enseignants ayant décidé d'appliquer les normes pédagogiques universelles sont harcelés par cette même administration qui refuse, à titre d'exemple, d'affecter un local à un professeur de mathématiques de première année SETI (sciences exactes, technologie, informatique) et ce, au mépris de la réglementation en vigueur. En faisant fi des normes les plus élémentaires, c'est tout le processus pédagogique qui s'en trouve escamoté, et la date butoir du 24 septembre telle que préconisée par le ministère de tutelle pour le calendrier des examens en est une parfaite illustration.
Quel regard portez-vous sur l'université algérienne ?
L'université algérienne vit une situation d'embargo depuis les années 1990. Les universitaires étrangers ne viennent plus comme par le passé superviser les thèses, donner des conférences… Ne participant plus au processus pédagogique, ils n'ont plus de visibilité sur l'université algérienne. Alors que les universités les plus prestigieuses se font un point d'honneur de maintenir ce contact avec la communauté internationale, notre isolement nous a été préjudiciable. Conséquence logique, les diplômes algériens ne sont plus reconnus par les universités européenne et américaine, et seul un candidat sur 10 est retenu pour un DEA, avec obligation de refaire une, voire deux années de son cursus. En outre, il faut savoir qu'avec 21 767 enseignants universitaires en poste auxquels s'ajoutent 1 000 nouveaux, le déficit actuel est de 14 000 enseignants. Cet état de fait est autant dû à une postgraduation quasi-inexistante dans certaines filières, qu'à l'exil économique forcé de dizaines d'universitaires (500 il y a deux ans) partis tenter leur chance dans des pays où la recherche scientifique n'est pas qu'un slogan. Dans l'état actuel des choses, j'estime que l'université est une méga-crèche pour adultes, qui n'assure plus que le minimum.
On parle de mise en application de la réforme universitaire dès la prochaine rentrée 2004/2005. Quelle aura été votre contribution en tant qu'enseignant chercheur ?
Le pouvoir en Algérie ne s'est jamais doté d'une politique nationale de la recherche scientifique, occupé qu'il était à gérer les flux et à rechercher désespérément la place pédagogique. Et alors qu'aucun audit digne de ce nom n'a été fait sur l'université, on décide de la réformer sans qu'aucun débat sérieux ait été instauré avec les partenaires et acteurs sociaux. Même le dispositif de concertation initié en décembre 2002 à Blida n'a pas été respecté. Dès lors, la prochaine rentrée est soumise à un risque de contestation massive de la communauté universitaire. Le système de licence en trois ans, de master en cinq ans et de doctorat en huit ans, entre dans le cadre de la mondialisation et ne saurait représenter un gage de qualité.
Certes, l'Etat a débloqué 5 milliards de DA de 1998 à 2003 pour l'achat de matériel, mais le chercheur, principal maillon de la chaîne du savoir, a été oublié. Aussi, nous tenons à dénoncer la gestion opaque des ressources de la recherche. Pour en revenir à la réforme, nous estimons que le premier chantier constitue le passage aux urnes. En effet, il faut, à l'instar de toutes les universités dignes de ce nom, élire des responsables académiques, pédagogiques sur la base d'un programme définissant les priorités en terme de politique de recherche à court, moyen et long terme. L'administration est une bureaucratie prédatrice qui vit du métier de l'enseignant et qui doit être démantelée démocratiquement par les urnes.
Quelles sont les principales revendications du CNES à l'issue de la dernière réunion de son conseil national ?
Le relogement des collègues sinistrés constitue la condition sine qua non pour une reprise de la vie universitaire. À cet effet, le syndicat appelle à une journée nationale de protestation le 4 octobre prochain, alors que l'université de Boumerdès a lancé un préavis de grève de durée illimitée à compter de cette date, pour dénoncer l'immobilisme des autorités. Nous tenons par la même occasion à dénoncer la gestion opaque de l'université, en appelant au changement de la loi d'orientation 98-11 relative à l'orientation et à la programmation de la recherche scientifique, de manière à élire démocratiquement et dans la plus grande transparence les recteurs, doyens et autres chefs de département.
Concernant le statut spécifique de l'enseignant, nous nous rallions au Snapap, CLA, Cnapest, pour demander aux pouvoirs publics d'être associés au dossier de la Fonction publique.
D. L.


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