Petit grain de sable, c'est grâce à toi que la Tunisie s'est soulevée contre une dictature de fer pour faire éclore la démocratie du jasmin, c'est grâce à toi que Ben Ali, l'invincible, est devenu invisible la nuit tombée pour prendre un vol sans retour pour Djeddah, c'est grâce à toi que le Tunisien pourrait marcher tête haute, voix haute dans son pays sans craindre le fouet, c'est grâce à toi que la révolution du jasmin embaume tout le monde arabe qui était jusque-là embaumé comme un pharaon décédé il y a des milliers d'années. Petit grain de sable, c'est grâce à toi que des millions d'Egyptiens ont dit “kifaya” à Moubarak en offrant leurs cœurs et leurs corps aux balles de la police, c'est grâce à toi que la place Tahrir, cœur battant de la révolution du 25 janvier, a mérité son nom. C'est grâce à toi que l'Egypte des pharaons qu'on pensait figée pour l'éternité dans son sort est en train de muer en Egypte de velours où les contraires se rencontrent pour discuter de l'avenir de la démocratie. Petit grain de sable, c'est grâce à toi que le Yémen est en train de se soulever pour mettre fin à son oppression ; c'est grâce à toi que la Jordanie a changé de gouvernement et peut-être même de régime dans quelque temps, c'est grâce à toi que le régime syrien fait de timides concessions à la démocratie, c'est grâce à toi que Laurent Gbagbo a eu un répit de la part de la communauté internationale concentrée sur l'onde de choc que tu as provoquée, toi, petit grain de sable. Petit grain de sable, c'est grâce à toi que Bouteflika qui applique à la lettre la communication de la rareté de la parole est sorti de son long silence pour annoncer qu'il va supprimer l'état d'urgence au grand bonheur des démocrates, c'est grâce à toi que l'obligation de payer par chèque les sommes de plus de 500 000 DA est passée à la trappe, donnant raison aux grossistes qui ont ri de leurs plus belles dents dorées, c'est grâce à toi que le marché informel continuera à prospérer et jouer sa fonction de régulateur du marché du recrutement de la jeunesse algérienne, c'est grâce à toi que l'immolation est devenue un moyen extrême d'expression de la jeunesse.Petit grain de sable, à la mort de ton père, tu as dû arrêter tes études secondaires pour nourrir ta famille, alors tu es devenu marchand ambulant à un âge où tu devais être marchand de bonheur ; mais même marchand ambulant, tu n'échappas pas au harcèlement du système de Ben Ali, ta marchandise a été confisquée à plusieurs reprises, tu as protesté, mais personne ne t'as écouté, après tout tu n'étais qu'un microscopique grain de sable que personne ne voyait ; alors pour être visible, pour être entendu, petit grain de sable, tu t'es immolé le 17 décembre et par cet acte, tu as immolé le cœur de tous les Tunisiens en le transformant en cœur de lion, tu nous a appris qu'un cœur mort pendant des décennies pouvait ressusciter en cœur de brave par le miracle d'un geste, d'un sacrifice ; tu nous appris qu'un geste de désespoir venu d'un anonyme aussi humble que démuni, pouvait donner l'espoir à des peuples entiers ; tu nous as surtout appris que les révolutions ne viennent jamais des salons où l'on refait le monde entre gens du beau monde en discourant sur la démocratie, ni des cénacles littéraires où l'on déchire à belles dents un confrère en pestant contre le régime en place dans le confort douillet d'une salle tamisée, un verre de whisky dans une main et un chapelet dans l'autre. La révolution vient de l'homme de la rue. Parce que la rue apprend l'action quand les idées apprennent la temporisation. Parce que l'homme de la rue est fait pour les combats quand l'homme de réflexion est fait pour les débats. Pour tout ce que tu nous appris, pour tout ce que tu nous as donné, Mohamed Bouazizi, petit grain de sable, immense héros qui nous a décrassés, grâce te soit rendue. H. G. [email protected]