Experts et journalistes se demandent si l'Algérie suivra l'exemple de l'Egypte et de la Tunisie. Les manifestations d'Alger ont tenu en haleine BBC News pendant toute la journée de samedi. La chaîne de télévision britannique d'information continue a attribué aux évènements une place de choix dans ses bulletins successifs. Dès le matin, elle annonçait la présence d'un dispositif sécuritaire musclé pour réprimer les manifestants à Alger. Saisie, Cloé Arnold, sa correspondante sur place, avait l'impression que toute la police du pays avait pris position dans la capitale. Les images les plus frappantes diffusées par la chaîne mettent en scène des policières en renfort et aux premiers rangs, molestant et interpellant des manifestantes dans la foule. À partir du Caire, ou la BBC a établi son QG depuis le début des protestations contre Moubarak, des experts maison se sont relayés sur le plateau pour anticiper la suite des évènements en Algérie et affirmer si oui ou non, ils allaient déboucher sur un changement de régime. Bien qu'unanimes sur l'existence d'une contagion qui, depuis la révolution du Jasmin en Tunisie, répand le syndrome de la révolte dans toute la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord), certains ont peur que dans le cas algérien, l'argent du pétrole, l'existence d'une machine répressive suffisamment rodée et les séquelles de la guerre civile, constituent un frein à la chute d'un régime qualifié de complexe. Ce genre d'explication est reproduit par certains médias écrits. Le quotidien The Guardian a relayé hier le point de vue d'Eurosia Group, un cabinet américain de calcul des risques, qui pense que les manifestations en Algérie peuvent être violentes mais ont peu de chances de déstabiliser le régime en place. Le journal lui-même constate, dans un compte rendu intitulé “Les forces antiémeutes chargent les manifestants”, que la dernière marche n'a pas reçu le soutien du principal syndicat du pays, d'importants partis d'opposition et des courants islamistes, mais elle dévoile l'existence d'un front de contestation déterminé, constitué par de petits noyaux. Un commentaire signé par Karima Bennoune, professeur de droit à Rutgers University, dans le New de Jersey, aux Etats-Unis, est plein d'optimiste. Présente à la place du 1er-Mai en compagnie des marcheurs, cette Algérienne d'origine, a relaté la brutalité avec laquelle les policiers les ont traités. Elle a été particulièrement effarée par le traitement réservé à des militantes démocrates, dont Chérifa Kheddar, présidente de Djazaïrouna, interpellée à deux reprises. Témoin des évènements en cours, Karima Bennoune a testé l'animalité de policières, quand l'une d'elle l'a giflée pour avoir pris une photo. Mais comme tout le monde, elle a résisté à l'assaut des éléments des forces de l'ordre. “De toute évidence, le mur de la peur est tombé. Sans doute sa chute est plus difficile qu'ailleurs compte tenu de la violence inouïe qu'a connue le pays pendant les années 1990. Il reste maintenant à unir et à organiser l'opposition”, observe l'universitaire. Pour elle, il n'y a pas de doutes, la révolution algérienne à toutes les chances de réussir. Nabila Ramdani, journaliste et analyste politique, est du même avis. Dans les colonnes du Independant, elle a inventorié les procédés utilisés par les autorités pour affaiblir la détermination des protestants. “La place du 1er-Mai a été fermée par un cordon sécuritaire pour empêcher qu'elle soit transformée en Maydan Etahrir”. Selon elle, les révoltes en Tunisie et en Egypte ont profondément inspiré les Algériens. Dans le pays, dit-elle, les éléments de la révolte sont les mêmes qu'ailleurs. Nabila Ramdani évoque une corruption endémique, la pauvreté, l'absence d'opportunités… “Le régime compte sur l'argent du pétrole pour calmer le front social. Mais les gens ont besoin de démocratie”, fait-elle remarquer. Ce besoin de liberté a été exprimé samedi jusqu'en milieu de soirée à Trafalgar Square, à Londres, par des dizaines d'Algériens qui ont pris part à un rassemblement organisé par Amnesty International en solidarité avec les révoltes populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ennemis jurés, il y a un an à cause d'un match de football, Algériens et Egyptiens ont défilé ensemble en faveur d'un changement démocratique dans leurs pays respectifs.