Hosam El Sokkari est directeur général de BBC Arabic (télévision, radio et site internet). Ancien journaliste à la chaîne qatarie Al Jazeera, il a rejoint l'équipe de la BBC en 1999. Il s'est occupé du site internet (bbcarabic.com) pour en faire l'un des plus visibles dans le monde arabe. Le site revendique aujourd'hui 21 millions de visiteurs par mois. Hossam El Sokkari a commencé sa carrière en tant que caricaturiste. Il a travaillé en Finlande et en Allemagne. Il a longtemps collaboré avec la radio allemande Deutsche Welle à Berlin. Il a écrit des chroniques sur les sciences et sur le journalisme électronique pour les quotidiens égyptien et libanais, Al Ahram et El Asharq Al Awsat. Il est diplômé de la prestigieuse London School of Economics. Une année et demie après son lancement, quel bilan faites-vous de la présence de BBC Arabic sur les écrans du Moyen-Orient et du Maghreb ? BBC Arabic a fait un véritable saut qualitatif dans le travail médiatique. Ce n'est pas uniquement une chaîne de télévision mais un ensemble multimédias qui présente les informations à travers l'écran, les ondes radio et le site bbcarabic.com. Difficile de trouver un autre média qui propose ce type de contenus sous une forme intégrée avec un niveau professionnel que le monde arabe connaît depuis Radio Londres dans les années 1930. Les moments difficiles qu'a connus le monde arabe depuis le lancement de BBC Arabic témoignent du professionnalisme des personnels de la chaîne. Ceux-ci ont prouvé qu'ils étaient à la hauteur du défi, en présentant une couverture médiatique éloignée de tout alignement à un régime ou un autre et de toute exploitation des sentiments du public avec la mise en avant de slogans enflammés qui font fondre le sujet, ses détails et ses sens. L'échec ou la réussite ne peuvent être évalués que par nos publics. Pour ce qui est de ce que nous voulions réaliser, je crois que nous avons beaucoup avancé. Notre volonté est que la chaîne soit destinée au public et que ce public joue un rôle dans le choix des sujets qu'on couvre. A titre d'exemple, « Noqtat Hiwar » (point de dialogue) est le seul programme dans le monde arabe qui permet au téléspectateur de suggérer des sujets à débattre. Un espace de libre expression permettant aux téléspectateurs d'échanger des points de vue, pas des insultes. BBC Arabic est intégrée à BBC Radio et au site web. Nous offrons également des services sur le mobile comme des résumés vidéo des journaux. Nous voulions que ce service complète la télévision traditionnelle que connaît le monde arabe depuis 70 ans. Les échos que nous avons prouvent que nous avons une grande crédibilité dans la région, qui s'est renforcée avec le lancement de BBC Arabic. Nous voulions présenter de nouvelles formes de programmes à titre d'exemple : l'émission « Commission d'enquête » qui est produit dans certains pays arabes. Dans cette émission, appel est fait à des témoins et des responsables pour qu'ils s'expriment sans crainte, sans complaisance et sans hypocrisie. Malgré la bonne réputation de la maison- mère, BBC Arabic n'arrive pas à s'imposer dans le paysage audiovisuel arabe face à la concurrence d'Al Jazeera et d'Al Arabiya… C'est peut-être un point de vue personnel, mais je ne crois pas qu'il résiste aux études de marché qui ont été réalisées récemment. Je reconnais qu'Al Jazeera et Al Arabiya ont une position stable dans l'esprit du téléspectateur arabe, mais la chaîne que nous avons lancée a, en une courte période, occupé une place qui n'est pas loin de celle Al Jazeera et d'Al Arabiya. Nous ne sommes en concurrence avec personne. Le téléspectateur d'aujourd'hui zappe et suit les informations sur plusieurs chaînes. Et je n'ai aucun doute, BBC Arabic est au sommet quant à la crédibilité et à la neutralité. Je ne suis pas inquiet sur notre place sur les chaînes satellitaires. Toutes les études confirment l'expansion continue de BBC Arabic. Chaque jour nous gagnons un téléspectateur nouveau. Le téléspectateur arabe est intelligent, il prend de chaque station ce qu'il veut. Notre marchandise est connue et protégée par des règles strictes qui nous engage sur le plan moral et professionnel pour que nous ne soyons pas partie prenante des news et que nous réalisons nos débats et couvrons les informations sans partialité. Dans les pays arabes, les correspondants de la BBC Arabic travaillent souvent dans des conditions difficiles en raison de l'absence des libertés démocratiques. Comment faites-vous pour que ces reporters puissent couvrir correctement ces activités qui risquent parfois de fâcher les régimes en place ? Notre relation avec les responsables est bonne malgré les critiques que nous entendons de temps à autre de leur part, mais la plupart saluent la rectitude des journalistes de la BBC. Nous oeuvrons à assurer tous les moyens de protection, de soutien et de formation. Nos correspondants sont entraînés à travailler dans des zones dangereuses. La protection des journalistes est prioritaire. Elle dépasse la collecte de l'information. Cela dit, chaque responsable sait que nous travaillons selon des règles sévères. Mais, en même temps, nous n'hésitons jamais à présenter nos excuses en cas d'erreur et nous offrons la possibilité aux responsables de rectifier. Cette relation transparente et ce respect mutuel réconfortent notre position dans le monde arabe et garantissent à nos correspondants la capacité de couvrir l'actualité correctement. Le respect des principes d'objectivité n'est pas un choix mais une règle de base dans notre travail. Cela facilite l'action des correspondants et leur permet d'accéder à toutes les parties même si les points de vue sont différents. L'actualité algérienne semble mal couverte par BBC Arabic. Beaucoup de questions épineuses liées aux libertés politiques et aux droits humains ne sont pas traitées correctement par la chaîne. Pourquoi ? Y a-t-il des limites au travail de la chaîne en Algérie ? Il n'y a aucune contrainte à notre travail en Algérie, mais nous voulons plus de facilités. Par exemple, nous voulons avoir la possibilité de faire des duplex (transmission en direct par satellite) à partir d'Alger. Nous espérons également que l'auditeur algérien puisse écouter la BBC sur bande FM. Si nous obtenons les autorisations nécessaires, nous allons améliorer notre couverture de l'actualité algérienne, pas seulement les sujets politiques mais également les questions liées à l'économie, au développement de la société, de la culture et des arts. Nous sommes confiants que les responsables vont nous aider à mieux servir l'auditeur et le téléspectateur en Algérie et à présenter une image réelle de l'Algérie au reste du monde. Contrairement à Al Jazeera, qui consacre un journal quotidien à l'actualité maghrébine, la BBC Arabic ne semble pas accorder beaucoup d'espace à cette partie du monde arabophone. S'agit-il d'un choix éditorial ? Ce n'est pas un choix éditorial mais une différence entre ce que nous faisons et ce que font nos confrères sur d'autres chaînes. Nous traitons avec le monde arabe comme étant une seule culture et nous ne le divisons pas en Machreq et Maghreb. Les questions du Liban, de la Syrie, de l'Arabie Saoudite, de l'Egypte, de l'Irak et d'autres pays intéressent les téléspectateurs du Maghreb au même titre que les questions relatives à l'Algérie, au Maroc, à la Mauritanie, la Tunisie ou la Libye suscitent l'intérêt de notre public au Moyen-Orient à travers nos journaux et nos programmes. Pourquoi selon vous, tous les grands pays, comme la Russie, la Chine, l'Allemagne, les Etats-Unis, la France, ont lancé des chaînes de télévision en arabe ? Ces pays s'intéressent au monde arabe et au rôle qu'il joue en politique et en économie. Ces pays veulent transmettre une image proche de ses positions, sans intermédiaire. C'est peut-être l'autre revers de la médaille, puisque le monde d'aujourd'hui connaît des tentatives d'engager des dialogues à travers les cultures. C'est un phénomène qui ne se limite au monde arabe. L'Iran entend s'adresser au monde à travers des chaînes qui diffusent en anglais et en arabe. Qatar fait de même avec le reste du monde par le biais d'Al Jazeera English. BBC Arabic ne pense pas qu'elle fait partie d'un plan occidental de dialogue avec le monde arabe. BBC Arabic n'est pas porte-parole des politiques britanniques. Notre traitement des faits d'actualité se fait selon une tradition bien ancrée par la BBC, en tant qu'institution médiatique. Nous ne voyons pas qu'il est de notre devoir de propager ou de soutenir les positions politiques britanniques ou occidentales. BBC couvre les événements sous tous les angles. Elle traite équitablement toutes les parties impliquées dans ces événements, gouvernement, opposition, politiques ou individus. Nous oeuvrons à permettre l'expression de tous les points de vue.