Ils sont venus de loin, de très loin, pour certains, en espérant gagner leur vie et assurer celle des leurs restés au pays, en travaillant en Libye. Eux, ce sont ces milliers d'étrangers qui travaillaient dans ce pays en proie à une crise sans précédent. Les revoilà sur la route du retour. Fuyant l'enfer libyen, ils ont trouvé refuge à Debdeb. Pas la peine de chercher le lieu-dit sur la carte. Même les moteurs de recherche ne le citent pas. Il faudrait demander aux trabendistes, spécialistes de la Libye, ou aux habitants des villes frontalières. Mais Debdeb est sortie de l'anonymat à la faveur de la crise qui secoue la Libye. En quelques jours, elle est devenue la porte de sortie pour bon nombre de ressortissants algériens et étrangers qui fuient l'enfer libyen. La bourgade est joignable, soit à partir d'In Aménas, soit d'Illizi. Habitée en grande partie par des gens issus d'El-Oued, Debdeb n'est plus desservie à partir de cette wilaya. “Personne ne s'aventure là-bas. Il n'y a plus de trabendo, plus rien”, nous lance un chauffeur de taxi à la station d'El-Oued. Il faudrait aller, donc, à Ouargla pour prendre l'unique bus qui dessert ce coin perdu, situé à plus de 800 kilomètres de là. Sur place, pas d'hôtels, juste quelques boutiques, dont la plupart ont baissé rideau depuis le début du conflit en Libye. “Personne ne vient ici maintenant, sauf les personnes qui y travaillent”, se lamente un chauffeur de taxi content de trouver, enfin, un client. “avant, je faisais des navettes incessantes entre la station de bus et le poste frontalier. Maintenant je chôme”, ajoute-t-il. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous croisons une famille libyenne (deux hommes et deux femmes) qui se rendait à Benghazi. Durant tout le trajet reliant Ouargla à Debdeb, ils n'ont pas arrêté d'appeler les leurs à Ghadamès. “ils ont peur. Kadhafi a armé ses partisans”, lancent-ils de temps à autre. Omar, le plus jeune de la famille, nous avoue qu'il a peur, mais “nous avons nos biens là-bas, nous avons nos proches qui y sont coincés. Nous devons rentrer”. À Debdeb, plusieurs véhicules libyens circulent durant toute la journée. Ils viennent s'approvisionner en carburant, et en produits alimentaires. “À Ghadamès, tout manque”, nous lance l'un d'eux, pressé de regagner le poste frontalier. En remontant la route menant vers le poste frontalier, en face du barrage de la gendarmerie nationale, se trouve le nouveau lycée Rouabah. C'est là qu'est installé le premier centre d'accueil des personnes rapatriées. Mardi matin, des bus sont venus emmener les 52 pensionnaires du centre. Ils sont Egyptiens, en majorité, quelques Marocains, des Mauritaniens et des Pakistanais. Des camions ont été réquisitionnés pour transporter leurs bagages et leurs meubles. Ils seront emmenés à In Aménas, où trois centres d'accueil sont installés, en prévision de leur départ vers leurs pays respectifs. Beaucoup d'Egyptiens ont emmené ce qu'ils ont pu dans leur fuite. “le patron de l'entreprise nous a abandonnés sur le chantier, sans même nous payer, alors on a pris tout ce que l'on a trouvé sur le chantier”, nous lance Mahmoud. Un autre insistait pour transporter sa télé, en noir et blanc, avec lui dans le bus, expliquant que c'est son seul lien avec son pays depuis qu'il a émigré en Libye. Drapés de l'emblème national, certains Egyptiens ont tenu à remercier le gouvernement algérien. “On nous avait menti au sujet de l'Algérie. Je vous avoue que j'avais peur de rentrer en Algérie. Je m'attendais à ce qu'on nous maltraite après tout ce qui s'est passé l'année dernière. Mais dès mon arrivée, j'ai senti que j'étais chez moi. Tout le monde nous a réservé un accueil chaleureux et fraternel, je n'oublierai jamais ça et je ne cesserai jamais de prier pour l'Algérie”, nous dit Mahmoud. Au lycée Rouabah, les agents de la protection civile, ceux du croissant-rouge, des jeunes du Service national, des policiers et du personnel médical veillent à ce que les pensionnaires ne manquent de rien. Au poste frontalier de Debdeb, toutes les dispositions ont été prises pour recevoir dans les meilleures conditions les personnes qui fuient l'enfer libyen. Des policiers expérimentés ont été envoyés en renfort, des agents de la protection civile, ceux du croissant-rouge, sans compter les éléments de l'ANP et les cadres de l'administration. C'est un véritable plan Orsec que les autorités algériennes ont lancé pour parer à cette situation exceptionnelle. Rachid, un ressortissant marocain, suppliait un officier de police algérien pour lui donner un drapeau algérien : “je veux l'emmener avec moi à Casablanca et dire au monde entier toute ma gratitude aux Algériens qui nous ont ouvert leurs bras.” La cellule de crise, installée à cet effet, veille au grain et s'attend à toutes les éventualités. D'autant plus qu'à un moment donné, on avait annoncé la possible fermeture du poste frontalier tunisien de Ras Djedir, saturé par les arrivées massives d'étrangers. Les éléments de l'ANP ont prévu un camp de toile pouvant recevoir jusqu'à 1 200 personnes en cas d'afflux massif de rapatriés. Il est vrai qu'aux premiers jours du conflit libyen l'on s'attendait à un rush vers l'Algérie. La cellule de crise travaille en étroite collaboration avec les autorités libyennes qui l'informent des arrivées attendues. Elle travaille également avec le ministère des Affaires étrangères. Une fois les représentations diplomatiques des rapatriés informées, ces derniers seront transportés au centre d'accueil d'In Aménas avant d'être acheminés vers leurs pays respectifs par voie aérienne. Les gens qui fuient la Libye travaillent essentiellement dans le BTPH et l'énergie, dans la région de Ghadamès (30 kilomètres du poste frontalier de Debdeb). La cellule de gestion de cette crise humanitaire a réquisitionné tous les moyens possibles (bus, matelas, nourriture, médecins, protection civile, policiers et militaires) les moyens de l'APC de Debdeb ne permettant nullement de gérer ce genre de situation. La commune ne dispose même pas d'un hôtel. Les entreprises publiques et privées ont été mises à contribution pour venir en aide aux rapatriés. Des chauffeurs venus de Hassi- Messaoud sont là depuis deux semaines. Des médecins, des policiers, des gendarmes, des militaires, des pompiers des agents du CRA. Tout ce beau monde a besoin d'être nourri et logé. Ce sont les écoles, le centre de formation professionnelle, l'auberge de jeunes qui servent de lieux d'accueil à ces réfugiés. Du côté du croissant-rouge algérien, on annonce la prise en charge de 4 900 personnes depuis le début de l'opération de rapatriement. Mardi après-midi, on annonce l'arrivée de 192 travailleurs du Bangladesh. Ils attendaient, de l'autre côté de la frontière, la finalisation des procédures administratives. Mercredi matin, le premier groupe (une trentaine) franchit la “portière” (el-bouaba). Exténués et ne sachant parler ni arabe, ni anglais, sauf deux d'entre eux, ils racontent qu'ils travaillaient pour une entreprise du bâtiment tunisienne, basée à Ghadamès et qu'ils étaient en fin de contrat (de deux ans) et que là, ils étaient dans le flou total. Mardi soir, des Italiens sont arrivés discrètement et acheminés vers In Aménas. Selon le responsable de la cellule de crise, Sahnoune Azzeddine, depuis le début de l'opération le 24 février dernier, l'on a enregistré l'arrivée de 2 273 personnes (sans compter ceux du Bengladesh). Ce chiffre comprend également les Libyens. Les personnes concernées par le rapatriement sont au nombre de 1 083, de différentes nationalités. Les Egyptiens viennent en tête avec 616 personnes, mais aussi des Mauritaniens, des Marocains, des Pakistanais, des Roumains, des Britanniques, des Italiens et des Vietnamiens. 338 Algériens sont rentrés durant cette période, ainsi que 852 Libyens (ces derniers rentrent pour s'approvisionner). Pour le moment, les Egyptiens ont été rapatriés vers leur pays. Ce n'est pas le cas des Vietnamiens (255) qui attendent toujours à In Aménas. Ce centre est, d'ailleurs, saturé. Selon le responsable de la cellule de crise, le chiffre pourrait dépasser les 5 000 personnes, si l'on compte les points de passage de Tarat et de Tinalkom. Toutefois, il tient à préciser que ce chiffre ne prend pas en considération les clandestins, dont un millier serait déjà rentré en Algérie. plus de 1 000 clandestins de différentes nationalités africaines, ayant fui le génocide en Lybie, ont pu arriver au sud algérien depuis le déclenchement des actes de violence en Lybie. Les services spécialisés dans la lutte contre l'émigration clandestine ont prévu une augmentation considérable de ce chiffre, qui pourrait atteindre les 100 000 personnes en cas de persistance du conflit libyen. En effet, le nombre d'étrangers résidant clandestinement en Lybie est estimé entre 1 et 2 millions, selon certaines organisations internationales. Pour le moment, on ferme l'œil sur les clandestins qui rentrent en Algérie, pour des raisons strictement humanitaires, mais cette situation pourrait encourager les autres clandestins, et pas seulement à In Aménas dont le maire craint l'arrivée massive de clandestins. Déjà que la localité et celles avoisinantes connaissent l'établissement de petites communautés africaines dans de petits villages en toub. À 350 kilomètres de Debdeb, la ville d'In Aménas est mise à contribution dans l'accueil des rescapés du conflit libyen, avant leur rapatriement par avion vers leurs pays respectifs. Trois centres d'hébergement ont été aménagés. À la salle omnisports de la ville, 225 Vietnamiens sont entassés depuis 12 jours et attendent toujours d'être rapatriés chez eux. “Nous voulons rentrer chez nous.” Leur ambassade s'est réveillée tardivement et a promis d'envoyer un représentant sur place ce jeudi, mais eux, se sont mis en grève de la faim pour exiger la présence de leur ambassadeur. Sur place, les agents de la protection civile, ceux du croissant-rouge et les policiers sont aux petits soins “pour nous, ce sont comme nos bébés, on leur apprend tout, on essaye de les aider à passer le cap du choc et nous pensons avoir réussi. Là, on a sympathisé avec tout le monde, on leur a donné des surnoms. Malgré les difficultés de communication et l'état de choc, on a pu nouer des relations avec eux et l'ambiance est bonne enfant au centre”. Eux aussi travaillaient dans un chantier de bâtiment de l'entreprise tunisienne. Cette dernière s'est contentée de les transporter jusqu'aux frontières, mais ne leur a pas versé la totalité de leur dû. La présence des Vietnamiens attire la curiosité des gens à In Aménas. Beaucoup de lycéens, qui étudient en face, surtout les filles, passent leur temps à leur parler, derrière les barreaux. Certaines veulent même les épouser. Il faut dire que les habitudes des vietnamiens étonnent quelque peu. Alors que des douches sont mises à leurs dispositions, ils préfèrent se laver dans la cour où se trouve une fontaine, devant le regard étonné des passants. Trois centres d'accueil sont ouverts dans la ville, la salle omnisports, le nouveau siège de l'APC et la maison de jeunes. Des Egyptiens attendent encore d'être rapatriés. Toutes les dispositions ont été prises pour recevoir ces rapatriés, y compris celles relatives aux risques de transmission de virus et de maladies infectieuses. Même si l'ambiance qui règne au niveau des trois centres est bon enfant, que les réfugiés se sentent comme chez eux, il y a lieu de mentionner que ces gens, qui sont venus de si loin, vont devoir retourner chez eux, sans presque rien, et sans savoir si, un jour ils devraient retourner en Libye. “Nous avons la vie sauve, c'est le plus important. Maintenant, il va falloir accepter de repartir à zéro”, nous confie cet Egyptien résigné. Avec le transfert probable des Bengalais vers In Aménas, les organisateurs craignent de connaître le même problème vécu avec les Vietnamiens ; ils risquent d'attendre encore longtemps avant que leur pays ne prenne les dispositions nécessaires pour les rapatrier. Les rescapés sont toujours sous le choc, malgré l'aide psychologique et la chaleur humaine qu'ils ont trouvée en Algérie. Un jeune Vietnamien a fondu en larmes lorsque les agents de la protection civile ont tenu à lui organiser une fête symbolique à l'occasion de son anniversaire. Mais, lui, tout comme ses compatriotes, restent dans le flou total, ne pouvant oublier l'enfer qu'ils viennent de fuir, leurs collègues qu'ils ont laissés sur les chantiers en Libye, mais surtout le fait qu'ils aient tout perdu dans ce conflit et qu'ils doivent rentrer chez eux, en se consolant d'avoir réussi à sauver leur peau. Un Bengalais rencontré à Debdeb nous avouait que c'est la pauvreté qui l'a poussé à venir jusqu'en Libye. Il a du mal à admettre qu'il doit retourner chez lui, les mains vides. Mais, au-delà des aspects humains induits par le conflit libyen, l'Etat algérien, à travers son appareil diplomatique, a pris toutes les mesures, y compris en apportant des aides aux autorités tunisiennes dans la gestion des réfugiés du poste frontalier de Ras Djedir. Les efforts déployés par la diplomatie algérienne durant cette conjoncture exceptionnelle replacent l'Algérie dans son rôle de leader dans la région et renseignent sur les préoccupations réelles d'Alger quant aux répercussions de la crise libyenne. Et parmi ces répercussions, la plus dangereuse reste celle liée aux risques d'introduction d'armes et de terroristes sur le territoire algérien, à la faveur de la crise qui secoue la Libye. C'est pourquoi les éléments de l'ANP sont mis en état d'alerte maximum dans toute la zone frontalière. Cette dernière est passée au peigne fin. Des barrages fixes et mobiles sont dressés un peu partout et l'on suit de très près l'évolution de la situation de l'autre côté des frontières.