Le premier vote libre de l'ère post-Moubarak et, probablement, depuis l'indépendance de l'Egypte, a été marqué, samedi, par une participation exceptionnelle. Devant tous les bureaux de vote, des chaînes interminables, faisant parfois jusqu'à 300 mètres, ont été observées le long de la journée. Jamais scrutin n'a attiré autant de citoyens depuis plus d'un demi siècle. Le phénomène marque une rupture avec la tradition de ces dernières décennies qui voulait que les Egyptiens boudent massivement les urnes, quel que soit le type de scrutin en jeu. La manipulation massive des urnes étant récurrente, les Egyptiens ont fini par ne plus s'impliquer dans les votes, malgré les chiffres officiels de participation annoncés régulièrement par le pouvoir, mais dont le caractère fantaisiste ne faisait de doute pour personne. Au-delà du résultat qui n'avait toujours pas été annoncé hier en milieu d'après-midi, ce qu'il y a à retenir, donc, c'est l'engouement populaire à l'occasion de ce référendum. Ainsi, pour le responsable de la commission chargée de l'organisation du référendum, la “participation est sans précédent”. Le secrétaire général de la Ligue arabe, potentiel candidat à la présidence de la République égyptienne, qui avait appelé à voter non aux amendements constitutionnels proposés, s'est félicité de cette participation. L'autre personnalité en vue en Egypte, qui s'est particulièrement illustrée lors des journées de révoltes qui ont conduit à la chute de Moubarak, le prix Nobel de la paix Mohamed El-Baradei, intéressé par une candidature à la prochaine présidentielle, lui aussi ayant appelé à voter non au référendum, a été empêché de voter. Ayant voulu effectuer son devoir électoral dans un quartier populaire pauvre, il a été reçu à coups d'insultes, de jets de chaussures et de pierres, ses pourfendeurs l'accusant de ne pas vivre parmi eux et de n'être donc pas des leurs. D'aucuns lui ont aussi reproché, fort injustement d'ailleurs, d'être à l'origine de l'invasion de l'Irak, alors qu'il était à la tête de l'Agence nucléaire internationale, et d'être à la solde des Etats-Unis. Au-delà de la fausse note qu'il représente, cet incident mériterait d'être interprété politiquement. On peut se demander, en effet, si ce n'est pas la campagne pour la présidentielle qui a déjà commencé, et si les Frères musulmans, très fortement implantés dans ce genre de quartiers, ne sont pas à l'origine de ce lynchage, avec comme objectif de disqualifier un candidat potentiel dont les convictions laïques ne les agréent aucunement. Les partisans de la révision, dont principalement la confrérie islamiste, sont favorables à une transition rapide avec des changements limités à la Constitution qui a prévalu sous Moubarak. Le camp adverse plaide pour une nouvelle Loi fondamentale, quitte pour cela que la période de transition s'étale un peu plus de temps. La nouveauté pour les Egyptiens, à l'image de tous les pays arabes soumis à des régimes autoritaires, c'est que le résultat du scrutin restait incertain tant que les chiffres n'avaient pas été communiqués. Aussi, dans les deux camps, s'est-on surtout félicité de l'intérêt des citoyens pour ce scrutin, indépendamment de leur choix de vote. Le fait est que le résultat semble en effet secondaire, dans la mesure où même un rejet des amendements ne remettrait pas fondamentalement en cause la transition dans ses objectifs et même dans sa vitesse. L'armée au pouvoir a fait savoir, à ce propos, qu'en cas de rejet de la mouture proposée à référendum, elle compte faire “une déclaration constitutionnelle limitée”, qui lui permettrait de continuer son œuvre de transition selon le programme déjà tracé. Seuleinterrogation, l'armée ne donne pas davantage de détail sur le sujet.