Aquoi sert une commission électorale si elle est dépouillée de ses prérogatives, voire entraînée dans une surenchère où elle ne peut que suivre le mouvement ? C'est-à-dire prendre acte de déclarations et d'articles de presse en Egypte où le sondage n'est pas une tradition bien ancrée. Ces sources ont en effet donné le président sortant, Hosni Moubarek, large vainqueur de l'élection présidentielle de mercredi dernier, avec des scores atteignant, voire dépassant, les 80% des voix. Même les Etats-Unis et l'Europe ont ajouté leur voix sans même attendre la proclamation officielle des résultats, et surtout même sans tenir compte des accusations de fraudes et d'irrégularité. Le message des Américains est indirect, mais sa lecture ne nécessite pas d'effort particulier ? Ils ont appelé jeudi l'Egypte à tirer les leçons du scrutin présidentiel « historique » de mercredi, qualifiant cette élection gagnée d'avance par le président Hosni Moubarek de « premier pas positif ». Pendant toute la campagne, Washington a ménagé ses critiques à l'encontre de M. Moubarak, un de ses principaux alliés au Proche-Orient. En outre, a noté le potre-parole du département d'Etat, la décision d'accepter des observateurs égyptiens « est arrivée si tard qu'elle n'a pas permis un effort plus organisé pour observer cette élection ». Tous les candidats n'ont pas eu un accès égal aux médias et « il y a eu des informations de fraudes dans certains bureaux de vote », a-t-il poursuivi. Mais globalement, les Etats-Unis considèrent ce scrutin comme une avancée « historique », a-t-il souligné. « Jamais les Egyptiens n'ont connu une élection de ce type dans leur vie. » « Le débat politique pendant la campagne va enrichir le dialogue politique en Egypte pendant des années », a-t-il conclu. Pourtant, les critiques et autres remarques pleuvent. Comme la question du taux de participation qui tournerait autour de 18%, selon le centre Ibn Khaldoun, qui a déployé plus de 2200 observateurs pendant le scrutin. « En se basant sur les remarques des observateurs dans les différentes provinces, le taux de participation n'a pas dépassé 18% (des 32 millions) d'électeurs inscrits », a indiqué cette ONG dirigée par le sociologue et pionnier des droits de l'homme égypto-américain, Saâd Eddine Ibrahim. Elle a exprimé son « inquiétude » face à ce taux bas, tout en précisant que ce taux ne pouvait être plus précis, car ses observateurs n'ont pas tous obtenu la permission d'entrer dans les bureaux de vote. Le centre se dit « soulagé » à l'issue du premier scrutin pluraliste au suffrage universel qui s'est déroulé sans incident sécuritaire important et a salué la décision de la Commission électorale de permettre aux ONG d'observer le scrutin. Même si cette décision était tardive et « n'a pas été appliquée mercredi, elle est devenue un droit officiel acquis des ONG qui peuvent désormais observer les autres élections », ajoute-t-il. Le centre relève, par ailleurs, une série d'irrégularités durant le vote, rapportées également par les autres ONG qui ont déployé des observateurs sur le terrain. « Des partisans du Parti national démocrate (PND, de Hosni Moubarak) ont payé entre 50 et 100 livres (entre 9 et 18 dollars) chaque électeur » qui a voté pour le président, indique l'ONG. Il fait état aussi de propagande électorale pour M. Moubarak dans les bureaux de vote, et de noms d'enfants et de personnes décédées sur les listes électorales. Quoi qu'il en soit, la presse égyptienne était catégorique hier : Hosni Moubarak s'envole vers la victoire. Sous des titres comme « Moubarak, devant ses rivaux » et « Moubarak obtient la confiance et le soutien du peuple », les quotidiens gouvernementaux Al Ahram et Al Akhbar donnent une victoire écrasante au chef d'Etat à plus de 80%. Au pouvoir depuis un quart de siècle, M. Moubarak serait donc assuré, ce qui ne faisait aucun doute, d'obtenir à 77 ans un cinquième mandat de 6 ans au terme du scrutin historique multicandidats et au suffrage universel qui a eu lieu mercredi dans des conditions controversées. Al Ahram doute si peu de la victoire de M. Moubarak que ce quotidien annonce qu'il accueillera le 28 septembre le président français Jacques Chirac. Le porte-parole de la Commission électorale, Oussama Attawiyah, n'a pas confirmé les chiffres de la presse, estimant qu'ils proviendraient des candidats. Jusqu'à présent, M. Moubarak était élu par un référendum, étant depuis 24 ans le candidat unique choisi par le Parlement que contrôle à 75% son parti, le Parti national démocrate (PND). Son dernier score en 1999 était de 93,79%. M. Moubarak avait annoncé au printemps dernier que le temps d'un scrutin multipartite et au suffrage universel était venu. Seuls des chefs de partis ont pu entrer en lice, M. Moubarak n'ayant eu à faire face qu'à deux rivaux jugés sérieux, Ayman Nour et Noumane Gomaâ. Les partis de la gauche marxiste et nassérienne et le mouvement contestataire Kefaya (ça suffit) avaient appelé au boycottage. Les Frères musulmans, principale force de l'opposition, avaient appelé leurs partisans à participer à l'élection, sans donner de consigne de vote. Des centaines d'observateurs indépendants, envoyés par des ONG locales dans les bureaux de vote, ont répertorié de nombreux cas de fraudes et d'irrégularités, dont certains se sont répétés dans plusieurs provinces. Rameutant en bus des électeurs, ou les payant, se livrant à des pressions et de la propagande ouverte et s'insinuant dans les bureaux de vote : les militants du PND ont été, selon eux, omniprésents et suractifs. Il ne fallait pas s'attendre à autre chose de ce parti qui a pris de l'avance sur tous les postulants et usé de tous les moyens pour leur barrer la route. En l'espace de quelques mois, le paysage politique a connu quelques frémissements, et même une certaine révolution avec cette libération de l'expression que ne rapportent pas tous ceux qui auraient dû le faire.