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17 mai, de « Calytous » à Bourouba
Chronique d'un vote impopulaire
Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2007

Commune des Eucalyptus, « Calytous » en arabe populaire, à environ 15 km dans la banlieue est d'Alger. Ecole Assamer Mohamed, transformée en centre de vote. Il est 11h10. Des grappes d'électeurs butinent les 12 bureaux de vote qu'abrite le centre. Des bureaux « hommes ». Ils farfouillent parmi 24 piles de listes représentant les candidats de la wilaya d'Alger.
L'affluence est plutôt timide. Le chef de centre, Omar Allef, est tout sourire. Il se félicite du bon déroulement de l'opération électorale depuis la matinée. « Il y a une bonne affluence des citoyens », exulte-t-il. Un optimisme vite tempéré par les statistiques : 5% de votants à 10h sur 4327 inscrits. Un homme vient de voter. Désabusé, il nous lance d'un ton malicieux : « El meyyet khella tarka wel waratha kesmouha » (le mort a laissé un héritage est les héritiers se sont partagés la succession). Allusion au partage des sièges qui, pense-t-il, s'est fait d'avance, suggérant que les dés sont pipés. Mitoyen avec le premier, un centre de vote pour femmes installé au sein de l'école Fodil Ouarthilani. Jusqu'à 11h, à peine une centaine de femmes y ont voté pour 4495 inscrites. « Sans doute parce que les femmes sont-elles occupées par les tâches ménagères et la préparation du déjeuner », explique le chef de centre, Brahim Bentorki. Des observateurs du FLN et du RCD suivent nonchalamment l'opération dans un bureau vide. RAS pour le moment. M. Bentorki se plaint du manque d'encadreurs qualifiés : « Très peu sont issus du corps enseignant. D'aucuns ne savent même pas rédiger un PV », dit-il.
Encadrement ou « tachghil echabab » ?
Ali, 24 ans, est l'adjoint de M. Bentorki. Petite barbichette et survêtement Nike, il est espiègle comme un lutin. « Je suis au chômage. Cette élection m'a au moins permis de gagner un peu d'argent. Je suis payé à 2500 DA », confie-t-il. Un chef de centre et un chef de bureau sont payés, eux, à 4000 DA, nous dit-on. Assimilant la fonction d'encadrement électoral à du « tachghil echab », l'emploi jeunes, Ali ironise : « Si l'Etat organisait des élections tous les deux mois, ça serait bien. Ça nous permettra au moins de travailler un peu. » Il nous assurera qu'il a glissé un bulletin blanc : « J'ai voté à blanc parce que l'Etat n'a rien fait pour moi. Je suis électricien en bâtiment et je chôme. Je vais me marier, peut-être cela va-t-il compter dans le dossier. Même éboueur, j'accepte, pourvu que je trouve un boulot. Mais pas chez le privé ! » Pour lui, les élections ne changeront rien à sa condition. « J'ai voté à blanc parce qu'aucun de ces candidats ne me convainc. Aucun d'eux n'a l'honnêteté de nous dire en face, à la télé : ma andi ma ndirlkoum,( je ne peux rien pour vous). Tous te promettent le Paradis, après, ils t'abandonnent dans ton enfer ! », tranche-t-il. Une femme de 66 ans, le front tatoué, sa carte d'électrice à la main, s'apprête à voter. Que signifient ces élections pour elle ? « Je ne sais pas quoi vous dire. Narmiha âla ezhar » ( je voterai au hasard) avoue-t-elle, un peu perdue. Et de nous servir tout un chapelet de bénédictions et de « daâwi el khir » pour que Allah protège l'Algérie. Une image qu'affectionne particulièrement l'ENTV quand elle veut sauver une élection impopulaire en redoublant de scènes folklorisantes. Cette « hadja » est l'incarnation même du « vote patriotique ». Comme pour une pléthore d'électeurs, pour elle, voter est l'expression d'une adhésion à l'ensemble national. D'ailleurs, elle ne sait guère comment s'y prendre. « Je vais prendre quatre ou cinq listes et c'est tout », dit-elle. « Vos enfants ne vous ont pas expliqué pour qui voter ? », lui demande le chef de centre. « Non, mes enfants ne voulaient pas que je vote », rétorque-t-elle, d'un air candide.
« Vote chawarma »
Adossée au centre de vote, une pizzeria est ouverte le plus normalement du monde. Une pancarte y annonce la prochaine ouverture d'un « service » chawarma. Des jeunes de tendance abstentionniste nous font état de leurs sentiments. « Makan oualou. Tout ça, c'est du pipeau. Nous, ce qu'on veut, c'est un travail. Il n'y a que ça qui compte : l'argent et le travail », dit Mourad, 27 ans. « La chawarma et l'oseille : il n'y a que ça de vrai », insiste-t-il, avant d'asséner : « Echaâb krah, le peuple est las des mensonges. » Un autre ironise, acide : « J'ai peur de mourir sans prendre le métro », avant de lâcher : « Le vote, c'est pour les vieux. » Alentour, des gargotes et des « chouayine » proposent de bonnes grillades fumantes aux gens de passage. L'artère principale est passablement animée. Les cafés et les magasins tournent à plein régime. Des barrages de police ponctuent la route principale qui abrite, par ailleurs, une importante unité de BMPJ. Les policiers se montrent affables. Ils ont juste un pistolet à la ceinture et pas de kalachnikov. Le message est celui d'une ambiance détendue. N'étaient les guirlandes, les fanions, et les affiches des candidats qui tapissent les panneaux et les murs qui sont, soit dit en passant, complètement décapitées — ce qui en dit long sur l'image qu'elles inspirent à la population cible — rien ne présagerait d'un événement de taille d'élections législatives. 11h50. Nous prenons la route de Larba, à 30 km d'Alger au cœur de la Mitidja Est. La route, jadis véritable coupe-gorge, est verdoyante sous un soleil tiède, se déployant dans un décor bucolique. Ecole Ali Boumendjel. Un minibus déverse des sacs de victuailles. C'est le repas du personnel d'encadrement. Dans l'enceinte de l'école, des groupes d'hommes sont postés aux abords des bureaux de vote. L'un d'eux a enregistré 25% de taux de participation à la mi-journée. « Il y a principalement deux candidats à Larba qui se disputent les faveurs des électeurs. Leurs familles respectives sont venues les soutenir en force », dit le chef de bureau. Nous nous apprêtons à visiter d'autres bureaux quand le chef de centre vient nous prier de partir au prétexte que nous n'étions pas en possession d'un ordre de mission. Notre badge délivré par une institution de la République algérienne démocratique et populaire, en l'occurrence le département de M. Djiar, ministre de la Communication, n'y fera rien. Nous bifurquons vers Sidi Moussa, à quelques encablures de là. A l'école Amirat Mahieddine, le centre de vote est vraiment mort. Dans l'un des bureaux, même les représentants des candidats sont absents. « Regardez, les chaises sont vides », lance le chef du bureau n°38. Dans ce centre, 3325 électeurs sont inscrits. A 11h, le taux de participation était de 9%, affirme le chef de centre. « Il faut compter sur l'après-midi », dit-il. Phrase rituelle. L'expérience a démontré que les Algériens, les hommes surtout, votent généralement dans la matinée. M. Bellatrèche, chef du bureau 38, attire notre attention sur le vote des handicapés. « Nous les aidons de même que les analphabètes. Mais d'une façon correcte. Il faut être neutre », souligne-t-il. D'aucuns auront relevé, en effet, la difficulté pour certaines catégories d'électeurs de se retrouver dans ce maquis de listes. Baraki. Ecole 20 Août 1956. 4194 électeurs y sont répartis sur 9 bureaux. A 12h30, 593 ont voté, soit un taux de 14,13% nous dit le chef de centre. Dans la cour de l'établissement, une certaine animation est palpable. En réalité, c'est du personnel « badgé ». C'est le cas de Younès. 21 ans, beau gosse, look branché, il compte parmi les observateurs des élections au profit d'un micro-parti. « Ils m'ont promis une "messaka" », confie-t-il, comprendre 1000 DA. « Pour être franc, c'est ça qui m'a ramené ici », dit-il. Younès est coiffeur de métier. Mais il est au chômage. « Ce vote me permet de me faire une petite tchipa », avoue-t-il. Ironie du sort, Younès ne votera pas pour le compte du parti qui l'a rémunéré, mais pour un autre parti politique. « Je vote Louisa ya kho. Tahdar, elle balance. » Allusion à Mme Louisa Hanoune, porte-parole du Parti des travailleurs. Younès fulmine : « Baraki baigne dans la poussière et la saleté. » De fait, les trottoirs qui entourent cette école sont défoncés, les routes massacrées. Un état de désolation constaté un peu partout, avec toutes ces communes éternellement en chantier, ces lotissements chaotiques qui pataugent dans la poussière en été et la gadoue en hiver, avec leurs égouts éventrés et leurs rues mal éclairées. Cette grisaille généralisée explique pour beaucoup le manque d'empressement des électeurs au portillon des bureaux de vote.
Bentalha « noir et blanc »
14h10. Nous voici à Bentalha. Une excroissance de béton métastasé dans un champ d'herbes folles qui gâchent la verdure de la plaine. Des magasins neufs et quelques commerces chics occultent mal la misère qui sévit encore dans cette localité traumatisée par le massacre de septembre 1997 de sinistre mémoire. L'école Benbadis abrite l'un des deux centres de vote du village. Avant d'y accéder, nous serons minutieusement fouillés par des policiers qui contrôlent tous les bagages sur une table disposée juste à l'entrée, une procédure que nous n'avons pas vue ailleurs. Un cerbère en civil nous scanne. Le centre compte 5750 électeurs. Le sémillant chef de centre n'a pas de chiffres sur le taux de participation, s'excuse-t-il. « Les femmes de la campagne environnante sont venues voter, ce qui est un bon signe », se contente-t-il de commenter. Dans les couloirs des bureaux de vote, des citoyens déversent sur nous leur trop-plein de colère. « Nous n'avons pas de gaz de ville, les routes ne sont pas goudronnées, les CEM sont surchargés d'élèves, le chômage bat son plein, les jeunes s'adonnent tous ou presque à la drogue », lancent-ils dans une litanie stridente de « chikayate ». « Bentalha n'est pas 16. Elle ne relève pas d'Alger. Elle est sûrement rattachée au Niger si elle est à ce point abandonnée », rage un jeune. Un autre renchérit : « Bentalha vit en noir et blanc. » Un troisième rapporte : « Nous sommes vus comme des terroristes. La population est punie. Bentalha machi El Qaïda. » Autant de griefs qui poussent ces jeunes qui, fait curieux, travaillent tous dans ce centre de vote à grossir les rangs de l'abstention. Pour eux, l'équation est simple : on vote si vous nous témoignez un peu de considération, chose qu'ils ne perçoivent pas de la part du gouvernement. « Bentalha yekhedmou biha. Bentalha leur sert d'alibi pour appâter l'opinion internationale. Où est passé tout l'argent qu'ils ont reçu sur notre dos depuis 1997 ? », interroge un citoyen. « Regardez, il est 14h30, et ils ne nous ont toujours pas apporté à manger. C'est la preuve matérielle que nous sommes des oubliés, rana menssiyine », lâche un employé de bureau de vote. Souilah, un jeune de 23 ans, étudiant en sciences financières, tient toutefois à nuancer sa position : « Je n'allais pas voter. Mais j'ai décidé de voter pour ne pas cautionner l'appel au boycott de Abassi Madani. L'époque du FIS est définitivement terminée. Je vote à blanc, mais je vote pour dire non à ces gens-là. Ma tedabarch âliya chriki ! » 14h55. Bachdjerrah. Quartier de Bourouba dit cité la Montagne. Au centre de vote Hamlat Saïd, on ne se bouscule pas devant les urnes non plus. Une femme portant un bébé déclare : « J'ai eu du mal à voter. C'est difficile de se retrouver dans ce fouillis de listes », avant de nous confier : « J'ai donné ma voix à une femme. Celle qui a une coupe carrée. » Elle ne connaît pas son nom. « Ce n'est pas de Louisa Hanoune qu'elle parle, c'est certain », commente un collègue. Le chef de centre reconnaît que le taux d'affluence est faible : « Dans ce centre, nous avons 2102 électeurs femmes et 1952 hommes. Le taux de participation à 14h était de 5% pour les femmes et de 12% pour les hommes », confie-t-il. Dans l'un des bureaux, un encadreur détaille le rythme de l'opération de vote : « Nous sommes passés d'une moyenne de 10 électeurs par heure, entre 8h et 10h à une moyenne de 7 électeurs par heure entre 10h et midi. Là, c'est tombé à une moyenne de 4 électeurs par heure. » Inutile donc d'attendre grand-chose des dernières heures de la journée. Les observateurs qui flânent dans la cour de l'école et sous les préaux chôment déjà depuis un bon moment. Les votants, eux, sont plutôt dans les marchés de Bourouba et de Bachdjerrah à faire leurs emplettes, ou à agiter les fanions de l'ESS en prévision de la grande finale du soir contre El Fayçali. 20h. Coup de sifflet final. Sétif a gagné. Explosion de joie à Alger. Le pouvoir respire. Il a de quoi se consoler…


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