Il s'est éteint. Une bougie, un poète. Un feu ! Loin d'Oran, sa ville qu'il chérissait par-dessus toutes les autres villes, le poète a plié sa tente. Hamid Skif ce mordu de la pomme de la vie est mort ! Absurde ! Cette fois-ci, Hamid Skif est parti en voyage, pas dans les mots, mais vers le ciel. Mon ami, le menteur sublime est-t-il mort ?! Les poètes ne meurent pas. Ils se cachent pour revenir dès le premier soleil de la saison suivante. J'ai connu Hamid Skif au milieu des années soixante-dix. Il ne ressemblait qu'à Hamid Skif. Excité. Bavard. Rebelle. Insoumis. Ce sont les mots qui lui faisaient miroir, joie et patrie. Il occupait le poste de directeur régional de l'APS à Oran. Avec les deux Kader, Alloula et Djeghloul, ils étaient les pivots intellectuels de la ville. J'étais étudiant en première année, j'ai adressé une demande à Hamid Skif afin de travailler à l'APS. J'ai été accepté en tant que pigiste. Payé au nombre de dépêches. Je n'oublierai jamais son commentaire à propos de ma première et dernière dépêche que j'ai fournie au fil de l'APS. C'était une dépêche sur la catastrophe et la gabegie que subissait l'état civil à la mairie d'Es-Senia à cause d'une arabisation idéologisée et irréfléchie. Des erreurs dans les transcriptions, des noms qui se métamorphosent en d'autres sens en se faufilant dans une autre langue. Une comédie satirique! La dépêche a été censurée par la rédaction nationale à la direction générale, à Alger. Skif me disait sur un ton théâtral (lui qui fut comédien dans la troupe de Kateb Yacine) : avec telle écriture acide et directe, tu seras toujours proie à la censure. Mon ami le sublime menteur est mort ! Triste réalité , triste Oran. Les amis aussi. Skif était content et fier en nous disant : je suis le fils de Jean Sénac (1926-1973). En le présentant dans son Anthologie de la nouvelle poésie algérienne (Poésie 1, n° 14, Librairie Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1971). C'est ce dernier qui a annoncé la naissance du poète. Dans cette première anthologie, Hamid Skif figure aux côtés de Rachid Bey (lui aussi décédé il y a quelques jours), Abdelhamid Laghouati, Nacer Khodja, Youcef Sebti, Ahmed Benkamla, Boualem Abdoun, Djamel Imaziten, Djamel Kherchi. Mon ami le sublime menteur est mort ! Triste le verbe. Les bistros d'Oran aussi. Avec Hamid Skif, Abdelkader Djeghloul, Ammar Bellahcen, Abdelkader Djamai, Belkacem Benabdallah, Abdelkader Alloula, Bouziane Benachour, Lhouari Addi, les Médiène Benamar et Moussa, Houari Touati et bien d'autres Oran avait sa “bande”, une bande d'intellectuels et de littérateurs. Hamid Skif était le plus bavard. Une langue piquante, critique virulente. Il ne savait pas comment ranger sa langue de poète dans un mouchoir en soie. Mon ami Le sublime menteur est mort ! Il adorait les villes. Comme sur les traces d'Albert Camus, Hamid Skif était fasciné et adopté par Alger, Tipaza, Oran. Le journalisme ne lui allait point. Il était poète. Il aimait les mensonges blancs qui lui permettaient de s'envoler librement dans les cieux de l'imagination. Il était le plus sublime des menteurs ! Il n y a pas de poésie sans mensonges ! Les belles lettres sont faites par les notables du mensonge. Il est mort le sublime menteur ! Au dessus d'Oran, le ciel est descendu quelques pas pour se prosterner devant le poète sublime dans sa mort! Dans son exil germanique, à Hambourg où il a choisi refuge, Hamid Skif comme son compatriote l'écrivain Mohammed Magani installé à Berlin, fut ambassadeur extraordinaire de la nouvelle culture algérienne résistante et moderne. Il n'arrêtait pas d'écrire des belles nouvelles : Citrouille fêlée dit Amar fils de mulet, La Princesse et le clown, Monsieur le président, La Géographie du danger… De ville en ville, il sillonnait l'Europe pour animer des conférences et des rencontres littéraires. Pour parler et présenter la nouvelle Algérie. Autre que celle des intégristes et des sanguinaires islamistes. Au bout de quelques années (1995- 2000) Hamid Skif s'est fait un autre look intellectuel. Il s'est rapproché de la littérature en s'éloignant du journalisme. Il voulait reconquérir la mémoire d'Albert Camus. Il désirait retourner au carré que Jean Sénac lui a attribué. Le poète est mort. La langue demeure. Adieu, mon cher ami, menteur sublime ! Allah y'rahmak. A. Z. [email protected]