Parmi les revendications, la suppression du service civil et l'amélioration des conditions de travail figurent aux premiers rangs. Les médecins sont en colère, et il y a de quoi, à première vue. Les revendications semblent aussi raisonnables si on écoute quelques-uns parmi les principaux concernés, les médecins résidents qui ont trouvé un appui à leurs revendications parmi les professeurs des CHU. S'il faut 7 ans de dures veillées pour obtenir son doctorat en médecine, l'étudiant, qui souhaite poursuivre des études de spécialiste, n'est pas au bout de ses peines. Il lui faudra une année pour préparer le concours de résidanat et travailler d'arrache-pied pour espérer faire partie des élus. En effet, il existe un numerus clausus, et donc, nécessairement, beaucoup d'appelés et peu d'élus. Or, selon des résidents, “il arrive que certaines places demeurent vacantes, pour des raisons de notes, alors que, s'agissant de concours, cela ne devrait pas être : on prend les meilleurs, point à la ligne !” Pourtant, des pratiques étranges existent même au niveau des concours, puisqu'il y a les pistonnés, qui peuvent se retrouver élus, sans concourir et tout le reste, c'est-à-dire ceux qui sont des questionnés sur des sujets (en néphrologie souvent) même pas étudiés dans les programmes. Une fois reçu au concours, le résident est affecté, dans des cas selon les besoins et la spécialité choisie, à un hôpital. “La priorité du choix est accordée aux plus méritants”, admet ce résident qui ajoute que “chaque résident doit, en principe, préparer une conférence ou un cours chaque semaine ou dix jours. Il accompagne le professeur au cours de ses visites pédagogiques aux malades, et expose au professeur le cas du malade dont il suit le traitement. Le prof le corrige en cas d'erreur et lui fournit des exemples analogues qu'il a eus à suivre. Il y a aussi des colloques hebdomadaires ou bimensuels, au cours desquels des cas cliniques sont exposés et décortiqués. Mais le plus dur c'est la garde”. L'insécurité règne la nuit Le rythme des gardes varie selon les spécialités. “Ça varie entre 4 et 10 jours et la garde dure 24h. Au cours de ces gardes, surtout la nuit, ça n'arrête pas de défiler : vrais patients et d'autres qui simulent, parfois des drogués, des ivrognes et des blessés à l'arme blanche, la nuit. On a même reçu un garçon de 13 ans complètement ivre, un jour”, énumère cette résidente dans un grand hôpital d'Alger. Question sécurité, “elle est quasi inexistante dans la plupart des hôpitaux : des médecins ont été agressés, des jeunes femmes médecins menacées par des voyous ou des patients, sans que les infirmiers ou les agents de sécurité n'interviennent. On a beau les appeler la nuit, les services de sécurité de l'hôpital ne répondent jamais, en cas de danger. Il arrive même que certains malades poursuivent le médecin jusque dans son bureau en l'invectivant. On rencontre de moins en moins de civisme dans la plupart des hôpitaux du pays”, ajoute-t-elle. Les maîtres-assistants, premiers concernés par les gardes, “sont rarement présents et ne viennent qu'une fois sollicités, par téléphone, par les résidents, et encore ! Pourtant, en théorie, le résident travaille sous la supervision de l'assistant !” Souvent, le résident devra faire face aux urgences, démuni de tout, ou presque : pas de consommable (fil ou sutures, etc.), ni médicaments.“Un médicament comme le Rivotril, un anticonvulsivant, utilisé en dernier recours, en réanimation, est introuvable ces derniers temps, même à la PCH, et il arrive qu'on soit confrontés à une rupture de stock d'insuline !” Quant aux problèmes d'évacuation des malades, mieux vaut ne pas en parler : il y a des hôpitaux qui ne disposent pas de radiologie ni de scanner et qui doivent s'adresser à d'autres hôpitaux pour cela. Et c'est au médecin résident de faire face à cette situation, accompagner le malade à évacuer, dans des ambulances non médicalisées, dépourvues même de masque à oxygène, porter ou soutenir le malade faute d'agent convoyeur, ou transporter de nombreux malades dans une même ambulance, que le chauffeur s'empressera de ramener à l'hôpital, sans s'inquiéter du sort du malade évacué ! “À l'hôpital Mustapha, parfois une simple femme de ménage fait la loi devant les médecins ou les résidents !” Le résident perçoit un salaire de 31 900 Da par mois, et un peu plus de 600 Da par 24h de garde. Même la prime de contagion n'est pas accordée aux résidents, alors que même les agents de sécurité devant la porte, la perçoivent ! On lui offre un steak, un œuf et une assiettée de rata dans le meilleur des cas, durant sa garde. “La cantine de l'hôpital Mustapha est réputée pour être infecte, elle est d'ailleurs très peu fréquentée”, selon le résident interrogé à propos de la nourriture servie dans les hôpitaux. Autre problème, les résidents sont ballottés entre deux ministères : celui de la santé et de la population où ils exercent et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, responsable des études et du cursus universitaire. Ils deviennent médecins spécialistes après 4 ou 5 ans d'études, menées de front avec les gardes, séminaires, colloques et soins aux malades, dans des conditions parfois lamentables. “Nous sommes censés, selon la loi, travailler 11 matinées par mois pour notre formation. Or, on travaille tous les jours, de 9h à 16h et, dans le meilleur des cas, de 9h à 14h ! Le reste du temps doit ou devrait être réservé à l'étude et à la recherche scientifique, aux congrès et autres colloques auxquels les résidents doivent assister, mais dont ils sont le plus souvent exclus, alors qu'y assistent profs et maîtres-assistants. Même chose pour les bourses d'études à l'étranger, dont nous sommes totalement privés.” Après cela, ils devront faire le service civil, soit selon l'affectation, entre 1 et 4 ans. Un an, lorsqu'on est affecté à un poste dans le Sud ou les Hauts-Plateaux et de 3 à 4 ans pour un poste dans une ville du nord. Les garçons sont aussi astreints au service national. Par-dessus tout, là où justement le bât blesse et provoque l'ire des résidents, le diplôme de fin d'études n'est remis qu'aux lauréats ayant effectué leur service civil (et militaire ?). Pourtant, selon un professeur en médecine exerçant dans un CHU, “en chirurgie, par exemple, les résidents effectuent 70% du boulot hospitalier, contrairement aux propos attribués au ministre de tutelle qui parle de 0,5% de l'activité hospitalière !” Selon le médecin résident interrogé, “les pouvoirs publics seraient plus avisés de trouver des solutions softs aux nombreux problèmes dont souffre le secteur. Au lieu de recourir uniquement à la menace et à la manière forte. Supprimer le service civil et inciter financièrement les médecins spécialistes à se rendre dans des régions déshéritées en leur accordant des avantages, serait déjà un premier pas”. Sans oublier qu'un médecin spécialiste, s'il a décroché son bac avec mention, à 18 ans, devra passer au minimum 12 ans pour achever ses études : 7 pour le doctorat, 1 an de préparation du concours, et 4 pour la spécialité. Si, de plus, il devra faire entre 1 et 4 ans de service civil (plus 18 mois de service national pour les garçons), il est facile de faire le compte : 7+1+4+4+1,5 =17,5 années, avant de recevoir son diplôme. qui dit mieux ! Ce petit parcours du combattant, pour un excellent élève, le mènera à l'âge de 35 ans et demi, avant qu'il ne puisse espérer jouir des fruits de son labeur. D. Z.