À maints égards, la situation qui prévaut dans le monde arabe rappelle celle qu'ont vécue, à la fin des années 1980, les pays de l'Europe de l'Est. En 1990, j'ai eu un entretien avec un responsable diplomatique yougoslave. L'actualité internationale était alors marquée par les évènements des pays de l'Europe de l'Est. Les uns après les autres, parfois sans qu'il y ait eu de prémisses, ils ont été touchés par une tempête qui a réduit à néant le Pacte de Varsovie. Certains pays ont opéré une transition plutôt paisible mais d'autres comme la Roumanie ont connu des violences et des centaines de morts. Il est vrai que les systèmes politiques de ces pays étaient similaires, que les populations vivaient quasiment les mêmes problèmes et avaient les mêmes aspirations et les mêmes rêves. Notre entretien avait essentiellement porté sur cette actualité. Je m'étais permis quelques libertés et avais engagé la discussion sur un pronostic des évènements ultérieurs. Quel allait être le pays suivant ? Bien sûr, l'URSS, m'avait-il répondu. Je n'avais pas manqué de lui donner mon avis, inscrivant également la Yougoslavie dans l'axe de la tempête. Evidemment, il n'était pas d'accord. La thèse officielle était que la Yougoslavie avait un système plus évolué que les autres pays de l'Est avec un communisme plus humain, une presse relativement libre, un accès à la propriété privé, enfin, une organisation politique favorisant l'expression populaire et impliquant le peuple. Une année plus tard, une guerre civile s'est installée dans ce pays pour trois années, beaucoup plus destructrice avec des centaines de milliers de morts. Cette guerre a abouti au morcellement de la Yougoslavie, un pays qui avait pourtant marqué l'histoire d'après la Deuxième Guerre mondiale, leader du mouvement des non-alignés et porteur d'un espoir d'une plus grande justice dans les relations internationales entre les pays faibles et les pays développés. Depuis la fin de l'année 2010, une véritable tempête souffle sur les pays du sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient. La spontanéité des mouvements et la rapidité d'expansion du phénomène d'un pays à l'autre peuvent, a priori, paraître étonnants. Ils s'expliquent, toutefois, par la similitude des problèmes vécus par les peuples, la similitude de leurs aspirations et la mondialisation de l'information qui permet le suivi des évènements en temps réel par l'ensemble des populations. Avec ce qu'a vécu l'Algérie dans son histoire récente, depuis 1988, certains considèrent que notre pays est en avance, en terme de révolution sociale et en terme de révolution tout court et que, par conséquent, il est à l'abri des mouvements de révolte telles qu'ils ont eu lieu dans les autres pays arabes. C'est comme la Yougoslavie en 1990 ! Si chacun dans le paysage politique national maintient ses convictions et campe dans sa logique, l'Algérie risque de vivre un changement à la yougoslave. Beaucoup de facteurs sont malheureusement favorable à cette hypothèse : - Le potentiel de violence vécu par les Algériens depuis plus de 20 ans. - La haine semée et cultivée entre les différents partenaires du paysage politique. - Un certain encouragement de certains cercles des pays développés du Nord vers le morcellement des pays du Sud, surtout les plus riches et les plus grands. (Il y a quelques jours, le président russe a fait une allusion directe sur cette hypothèse, répercutant probablement une idée débattue au niveau des entretiens du G8 regroupant les pays les plus puissants du monde). Nous ne devons pas oublier le scénario de la France coloniale qui voulait, en 1960, couper l'Algérie en deux Etats. C'est une hypothèse qu'il ne faut donc absolument pas exclure. Ce qui se passe ces derniers jours en Libye doit nous interpeller et interpeller tous les Algériens. Qui pouvait prévoir cette situation il y a seulement 2 mois ? Les Algériens doivent–ils encore accepter les bains de sang et payer encore une fois le prix le plus fort ? Doivent-ils assister à la disparition de leur pays sans réagir ? Les sacrifices des martyrs de la Révolution du 1er-Novembre auront-ils été vains ? Comment sauver l'Algérie avant qu'il ne soit trop tard ? Il faut absolument que le peuple algérien s'implique et se mobilise comme il a su le faire par le passé pour sauver son pays d'un péril possible et peut-être planifié. Le peuple algérien, par sa jeunesse fière et révoltée et ses élites, le peuple algérien dans toutes ses composantes doit se mobiliser dans un mouvement national de citoyenneté et agir de façon déterminée pour arracher pacifiquement sa souveraineté, la souveraineté du peuple lui permettant d'avoir un rôle dynamique dans la sauvegarde du pays pour le maintien de son intégrité, dans son édification et dans la construction de l'avenir des générations futures. Il ne faut pas oublier que : - l'Algérie est un grand pays. Il constitue un véritable sous-continent au nord de l'Afrique et que Dieu a doté de toutes les richesses que bien des pays nous envient. - Le peuple algérien est un grand peuple qui a beaucoup de noblesse et de fierté. Un peuple capable de tous les sacrifices quand il adhère à de nobles objectifs. Il l'a démontré par le passé et il peut toujours le démontrer quand la situation l'exige. - Le sacrifice de sa jeunesse a été immense pour le recouvrement de la souveraineté nationale. La jeunesse de la génération du 1er-Novembre 1954 a fait preuve d'une maturité extraordinaire et par son sacrifice a marqué l'histoire universelle. Ce sont ces générations de jeunes qui ont toujours su placer notre pays à l'avant-garde au niveau du continent. Aujourd'hui, le peuple est sollicité, sa jeunesse devra relever le défi pour mettre en place une force de paix et de solidarité entre tous les Algériens de toutes les contrées du pays. L'Algérie appartient à tous les Algériens ! Tous les Algériens, quelle que soit leur appartenance partisane, quels que soient leurs particularismes. C'est notre unique pays ! Nous n'en avons aucun de rechange ! Nous sommes condamnés à, d'abord, le sauver des périls qui le menacent et, ensuite, à le construire pour permettre, enfin, son émergence et lui donner la place qu'il mérite au plan international. Y. M. T.(*) cadre à la retraite