Jean-Pierre Juneau, 60 ans, est l'ambassadeur du Canada à l'Organisation transatlantique nord (OTAN) à Bruxelles, depuis 2003. Il est à Alger, invité par l'Institut diplomatique et des relations internationales (IDRI), pour animer une conférence dont le thème est : « Regard canadien sur la nouvelle OTAN et le dialogue méditerranéen. » Le dialogue est un processus engagé par l'OTAN avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, dont l'Algérie qui l'a rejoint en 2000. Ancien ambassadeur du Canada en Espagne, au Brésil et à l'Union européenne (UE), Jean-Pierre Juneau explique la stratégie de l'OTAN dans ses relations avec ses partenaires. Pouvez-vous nous expliquer les objectifs de votre visite en Algérie ? Je suis ici à l'invitation de l'Institut diplomatique des relations internationales (IDRI). C'est ma deuxième visite en Algérie. Je suis déjà venu à Alger en 1988, alors que j'étais ministre conseiller à Paris. J'ai un intérêt tout à fait ancien à l'égard de l'évolution des choses dans votre pays. Je trouvais que c'était une bonne occasion de revenir ici après presque vingt ans pour parler de la nouvelle OTAN. L'image de l'OTAN auprès des pays arabes étant globalement négative, c'est important pour nous de faire des efforts d'explication et de montrer en quoi la nouvelle OTAN représente une organisation différente. Justement, quelle est la principale différence entre l'ancienne et la nouvelle OTAN ? La principale différence est que, depuis la fin du monde communiste, il y a eu un élargissement au sein de l'organisation avec des pays qui appartenaient à l'ancien Pacte de Varsovie. Cet élargissement s'est accompagné d'un changement radical des missions de l'Alliance atlantique. Depuis sa fondation, l'OTAN en Europe présentait une ligne de défense militaire contre toute forme d'expansionnisme de l'Union soviétique. Aujourd'hui, l'Union soviétique n'existe plus, les anciens satellites ont recouvré leur indépendance et plusieurs d'entre eux sont déjà avec nous. En changeant, l'organisation a connu aussi une plus grande politisation. Qu'est-ce que cela signifie ? La fonction militaire n'est plus l'unique fonction de l'OTAN. C'est une fonction importante, mais, depuis 1989, de grands efforts ont été déployés pour élargir le champ d'intérêt de l'OTAN. Il s'agit de faire en sorte que l'organisation ne soit plus limitée aux questions la liant aux préoccupations européennes. Les premières interventions ont eu lieu en Europe, a commencer par les Balkans. Il y a toujours une présence au Kosovo. Mais suite, surtout, à la crise du 11 septembre, il y a eu un engagement dans une région assez éloignée : l'Afghanistan. Un pays qui a connu une guerre civile, qui a été envahi et qui a vécu des difficultés pendant près de vingt-cinq ans. Nous avons développé une philosophie de présence qui va bien au-delà de la zone européenne traditionnelle. Je dis aussi un plus grand intérêt à la dimension politique parce qu'en plus des exemples que je vous ai mentionnés, il y a aussi le dialogue que nous entretenons avec une foule d'autres partenaires. Il y a le dialogue méditerranéen qui réunit les pays du Maghreb, comme l'Algérie, et il y a la nouvelle initiative d'Istanbul... Que veut faire l'OTAN avec ses nouveaux partenaires ? L'OTAN veut d'abord développer davantage les consultations. Il est important que des forums bilatéraux existent pour discuter de questions d'intérêt diverses. Donc par exemple avec les Etats-Unis. Là, nous avons un forum, l'un des rares, où nous pouvons discuter avec nos amis américains de questions de sécurité et de défense. Parallèlement à cela, certains pays européens sont un peu hésitants à l'idée de voir l'OTAN traiter de questions politiques en dehors de l'Europe. Pour le Canada, par exemple, il y va de l'intérêt de l'OTAN de se situer hors du contexte européen. De notre point de vue, la mission traditionnelle a été remplie. On comprend que certains nouveaux Etats membres, en particulier ceux qui viennent de l'Europe de l'Est, soient en droit d'attendre cette garantie pour parer aux situations qui évolueraient d'une façon à nuire à leurs intérêts politiques. Nous croyons que nous sommes dans un autre chapitre et qu'il est intéressant d'accorder plus d'importance à la dimension politique, à la dimension sécurité dans des zones qui sont nouvelles pour l'OTAN, mais qui sont, néanmoins, importantes pour nos pays. Quelles sont alors aujourd'hui les nouvelles frontières de l'OTAN ? Les nouvelles frontières de l'OTAN se définissent dans le cadre des partenariats de l'Alliance. Il y a le forum euro-atlantique des 46 pays qui nous emmène jusqu'en Asie centrale. Un exemple : la Nouvelle-Zélande participe aux opérations en Afghanistan. D'une certaine façon, il y a une zone d'intérêt d'abord qui amène l'OTAN à avoir une relation un peu particulière avec la Nouvelle-Zélande. Le nouveau secrétaire général, qui est venu ici en novembre 2004, a fait une première visite au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande à cause de la participation de ces pays aux activités que nous avons en Afghanistan. Justement, est-ce que l'OTAN compte s'impliquer au Darfour (Soudan) ? Il s'agit d'abord de savoir ce que l'Union africaine (UA) attend de nous. Nous disons depuis le début que si jamais l'OTAN a une présence quelconque, ça sera pour apporter un appui en termes de soutien logistique. Il n'est pas question que nous déployions des troupes de l'OTAN au Soudan ou au Darfour. Vous m'auriez demandé il y a six mois est-ce que l'OTAN va marquer une présence au Soudan, la réponse aurait été négative. Cela dépend de l'évolution des choses. Le Canada souhaite contribuer au règlement de ce conflit via un appui significatif de l'UA. Le 17 mai prochain, le président de l'UA se rendra à Bruxelles, au siège de l'OTAN. Le champ de l'OTAN est donc à géométrie variable... Absolument. C'est un champ à géométrie variable. Le sommet d'Istanbul de l'OTAN a marqué une nouvelle étape dans les relations entre votre organisation et les pays du dialogue méditerranéen. Pourriez-vous nous dire ce qui change dans vos rapports ? D'abord, il y a eu l'annonce de l'initiative de coopération d'Istanbul qui nous a amenés à développer un nouveau dialogue avec les pays de la région du Golfe. Cela a contribué à susciter un intérêt nouveau auprès des partenaires du dialogue méditerranéen. L'initiative de coopération d'Istanbul (ICI) apporte un nouvel élan à ce dialogue (...). Le Canada participe à la plupart des programmes lancés par l'OTAN. Il est le sixième contributeur financier de l'organisation avec 148 millions de dollars en 2004. Cela n'inclut pas le coût de notre participation aux opérations (Afghanistan et Bosnie). Le Canada a des valeurs qu'il cherche à promouvoir (respect des droits de l'homme). Notre pays n'a pas été une ancienne puissance coloniale. Nous n'avons aucun intérêt stratégique en Afghanistan. Avant notre engagement militaire, nous n'avions pas d'ambassade à Kaboul. Pour nous, il était important de stabiliser la situation là-bas après le 11 septembre 2001. Par ailleurs, vos voisins de l'autre rive s'interrogent sur l'intérêt du Canada pour les pays du Maghreb. Il y a une présence démographique significative au Canada des ressortissants de ces pays. A titre d'exemple, 50 000 Algériens vivent à Montréal. Sans compter les communautés marocaine et tunisienne. Il est important de développer de nouveaux secteurs de coopération. Pouvez-vous préciser la nature des rapports que l'OTAN entretient avec l'Algérie ? Dans le domaine de la défense, un des éléments des accords que nous développons, dans le cadre du dialogue méditerranéen, a trait par exemple à la réforme du ministère de la Défense. Cela porte sur la gestion de la défense avec tout ce que cela implique comme modernisation. C'est un domaine d'ailleurs qui intéresse les nouveaux partenaires. La présence de l'Algérie au dialogue a été très rapidement remarquée. Lorsqu'elle s'est associée au dialogue, l'Algérie avait une idée claire de ce qu'elle voulait obtenir de cette coopération. Et c'est toujours mieux. Car cela permet d'évoluer plus vite. L'Algérie veut participer à l'opération Activ Endeavour en Méditerranée (sécurité maritime). Il n'y avait aucune raison pour que l'Algérie n'y prenne pas part... Metaoui Fayçal, Zine Cherfaoui