Tout Bougie était au rendez-vous. La salle du Théâtre régional de Béjaïa était presque pleine de femmes, de jeunes et de moins jeunes. Ils ont tenu, les soirées du dimanche et du lundi, à rendre un hommage à la mesure du personnage : Ahmed Azeggagh, l'enfant terrible de Nator (un village perché sur les hauteurs de Bgayeth, et duquel le poète contemplait la baie béjaouie). D'emblée, le ton est donné par Omar Fetmouche, directeur du TRB, qui reprend, en guise d'intro, un vers d'Ahmed Azeggagh : “Demain sera notre âge.” Tout un programme ! Un programme politico-philosophique, qui peut se décliner dans l'oreille de celui qui a une grande acuité auditive. Et qui sait prendre le pouls de sa société. Un poète, tout simplement. Dans ce théâtre, “espace de créativité et de partage”, a expliqué Omar Fetmouche, les fantômes des artistes ne cessent de rôder, “on a reçu Rachid Mimouni, Tahar Djaout, Mouloud Mammeri. Aujourd'hui, on reçoit un grand monsieur : Ahmed Azeggagh. Ecrivain, journaliste et poète”. Farida Azeggagh, la sœur d'Ahmed, dit à l'adresse du public et des nombreux amis du poète disparu : “J'espère que cet hommage contribuera à la réédition de ses livres : Chacun son métier (poésies), l'Héritage (roman édité en 1966 à la SNED), les Récifs du silence (un ensemble poétique, dédié à Mohamed Boudia en 1974), République des ombres (Théâtre, 1976) ou Duel à l'ombre du grand A (1979), et autres inédits. Aux manettes de ce vibrant hommage, Hamma Miliani, un metteur en scène de talent, reconnu par ses pairs à travers le monde et ami d'Ahmed Azeggagh. En 1981, il a mis en scène au théâtre les Amandiers à Paris deux de ses pièces : le Temps des araignées (Inédite) et République des ombres.” Pour l'occasion, il a mis en scène un montage poétique et musical interprété par des comédiens du TRB. La poésie d'Ahmed le Rouge est clamée par les comédiens et traduite très justement en kabyle et en arabe dialectal. Pour le support musical, Hamma Miliani pouvait compter sans crainte sur Rachid Djellouli, un musicien de talent, qui a fait ses classes dans la troupe Debza. Le clou de la soirée ? Parole de poète, une mise en situation d'une interview, accordée par le poète à Nadjib Stambouli, dans Algérie Actualité. Les journalistes, présents dans la salle, ont été assurément interpellés par les réponses d'Ahmed Azeggagh, qui témoignait de son amour infini à l'écriture et de son rapport à l'écrit. Il était intraitable sur les questions d'éthique et de déontologie. Pour ceux qui ont connu Azeggagh, l'interprétation de Sofiane Harchaoui et de Saïd Bessa, de la Compagnie du théâtre Hamma Miliani d'Ivry-sur-Seine, était vraiment très juste. Avec un peu plus de représentations — le comédien lui ressemblant étrangement —, on penserait qu'il est parmi nous. La deuxième mise en situation concernera l'interview, réalisée par Hassan Gherab, son ami et complice au quotidien la Tribune. Un journal, qu'il quittera quelques mois plus tard pour fonder le magazine culturel Escales. Le titre n'a pas été choisi au hasard. Quand il venait à Béjaïa, Ahmed Azeggagh jetait son ancre au bar-restaurant de feu Hadj Slimane, l'Escale. L'endroit a fermé depuis. Pour la revue, Ahmed, qui n'appartenait pas seulement à Bougie, avait rajouté un ‘S', Escales au pluriel. Mais le magazine disparaît après avoir fait halte à Bougie. Quelque 2 000 exemplaires y avaient été écoulés malgré la mauvaise distribution.