Le théâtre régional de Béjaïa lui a rendu un hommage mémorable, dimanche et lundi derniers, à travers un sublime montage poétique et des souvenirs à foison partagés et racontés par ses amis. Il y a des pieds de nez dont seule l'histoire a le secret. Longtemps ignoré dans son propre pays, la plupart de ses oeuvres ayant été publiées en France, Ahmed Azeggagh est revenu presque par effraction, sans crier gare pour occuper le devant de la scène du TRB. Une initiative de son directeur, Omar Fetmouche, a réparé un oubli. Une injustice. Les «fiançailles» entre Ahmed Azeggagh et la capitale des Hammadites ont été célébrées dimanche. «Son oeuvre sera porté sur les planches en 2012» a promis le directeur du Théâtre régional de Béjaïa émerveillé, comme nous le fûmes tous par la haute facture du montage poétique qui a été donné par les jeunes comédiens du TRB et ceux venus de France, Montpellier et Paris. L'hommage se voulait universel. Comme l'aurait aimé Ahmed. Un cocktail explosif dont la mèche a été allumée par l'artificier en chef: le dramaturge Hamma Meliani. Des mots et des mots qui sont venus s'écraser sur les récifs du silence. De l'or en barre légué aux générations futures. De l'artillerie lourde pour reconquérir un territoire que l'homme aux semelles de vent n'aurait jamais dû quitter. Oui! Il y avait un peu de Rimbaud qui planait dimanche au dessus de nos têtes, du Garcia Lorca et peut-être même...un peu de Naguib Mahfouz. Si le Harare a tenu son poète, l'Algérie en la personne d'Ahmed Azeggagh a aussi tenu son Rimbaud. Il est probablement aussi, ce que Naguib Mahfouz représentait pour les petites gens de son quartier de Khan El Khalili. Ecarté contre son gré de la scène littéraire algérienne par les tenants de la culture officielle de masse et du parti unique, il a campé sur les deux rives de la Méditerranée pour mieux préparer son retour. Pour mieux donner l'estocade et mener l'assaut victorieux. La bataille doit être brève. A la hauteur de l'événement. La campagne a été menée de main de maître. Les mots ont résonné comme des balles de Kalachnikov. La guitare et le violon ont magistralement accompagné et fait vibrer l'enceinte du théâtre de Béjaïa. Pas besoin de trémolos dans la voix pour décrire l'émotion qui a envahi la salle. Place au silence. Place au silence. Celui auquel on a voulu réduire Ahmed Azeggagh. Béjaïa lui a rendu la parole. On avait envie de crier: «Parle Ahmed, parle, parle et ne te tais plus...». «Le jour se lève à peine Nous pensons à demain Nous vivons dans l'attente Et tous mourons d'attente Nous sommes l'espérance Aux yeux du désespoir Et si le soleil brille C'est pour vous insulter... Et nous nous étonnons de découvrir que nous sommes le contraire des riches» Extrait de L'héritage publié en 1966 chez Subervie, Rodez Ahmed Azeggagh a fait le pari de la jeunesse, celui de l'espoir incarné aussi par sa génération. Tout dépendra d'elle, mais surtout des moyens et des outils, éducatifs, que l'ont mettra entre ses mains. Ahmed Azeggagh, lui, a tracé le chemin: celui de l'universalité et d'une société juste: à elle de reprendre le flambeau. A l'image de son oeuvre, rien n'a été simple pour lui, mais il a su extraire de ses romans et de sa poésie la sève qui la nourrissait et que ne pouvaient contenir même ses rêves les plus fous. L'oeuvre d'Ahmed Azeggagh s'est forgée dans le sillage des événements et des soubresauts qui ont jalonné l'histoire de l'Algérie. De la guerre de Libération nationale qui a mené l'Algérie à l'Indépendance, du coup d'Etat militaire de 1965 aux événements d'Octobre 1988 à l'avènement du terrorisme en passant par son engagement pour la Palestine, rien n'a été facile pour lui. Au point de s'être oublié. Béjaïa lui a tendu les bras pour l'éternité.