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Mon Royaume pour Tlemcen (2/3)
La chronique de Abdelhakim Meziani
Publié dans Liberté le 30 - 04 - 2011

“-Ibn Khamis, le poète-vizir faisait partie de mon entourage, de mes précieux fidèles si tu le veux bien. Il a laissé des poèmes de style épique, d'autres d'inspiration sensuelle et mélancolique, et enfin des œuvres d'inspiration mystique.” Sur les raisons de l'exil grenadin du poète, mon interlocuteur ne souffla mot, pas plus d'ailleurs que sur sa manière peu chevaleresque de défier les siècles. Je compris vite que l'homme, à la démarche princière, ne voulait surtout pas se remémorer le printemps 1307, soit deux ans plus tôt, alors que Tlemcen en était à sa cinquième année de blocus. À un moment où elle semblait sur le point de succomber aux assauts répétés des Mérinides de Fès, sous la conduite de Abou Yaquoub Yousôf. Déjà fortement ébranlé par la mort du sultan Othmane 1er, réputé parmi les plus braves guerriers zianides, Tlemcen ne dut son salut qu'au respect scrupuleux du testament politique de Yaghmoracène qui aurait dit justement au même Othmane : “- Sache mon fils, qu'il nous est devenu impossible de lutter contre les Mérinides … Garde-toi d'aller à leur rencontre : tiens-toi derrière les remparts s'ils viennent t'attaquer et dirige tes efforts sur la conquête des provinces hafsides qui touchent aux nôtres. Par les troupes qu'elles te fournissent tu pourras résister à tes adversaires, peut-être même, une des forteresses orientales tombera-t-elle en ton pouvoir et deviendra le dépôt de tes trésors.” Suivie à la lettre, la stratégie de Yaghmoracène avait fait dire à Ibn Khaldoun que la ville était si bien protégée par ses murs qu'un esprit, un être invisible aurait eu de la peine à y entrer. “Même il n'y avait pas eu que cette géniale ruse de guerre pour sortir Tlemcen de l'impasse, s'exclama subitement, sortant de sa réserve, mon compagnon de fortune, l'esprit d'initiative et le sens de la diplomatie de la reine, ma mère, a évité à la dynastie, assiégée par les Mérinides, une chute irrémédiable.” Ibn Khamis parmi ses précieux fidèles, la belle-fille de Yaghmoracène, la reine, sa mère, et puis quoi encore ? Mais qui est-il au juste pour se permettre de lire dans mes pensées et de défier, non sans une certaine insolence, des siècles et des siècles. Le plus déroutant c'est qu'il disait vrai. L'hommage que mon passager venait de rendre à celle qu'il appelait sa mère me rappelait, soudainement, une lecture que j'avais faite il y a longtemps. Contenus dans l'Histoire des Berbères, ce fabuleux chef-d'œuvre de Abderrahmane Ibn Khaldoun, ces faits étaient rapportés par le savant, cheikh Mohammed Ibn Brahim El-Abili, professeur du célèbre auteur de La Muquaddima. Ils concernaient justement cette reine remarquable qui sut, en plein siège, favoriser une succession douce à la suite de la mort de Othmane 1er et au profit de son fils aîné Abou Ziane.
Des femmes valeureuses, il y en avait à l'époque, selon mon mystérieux compagnon. Pendant que son frère Abou Hammou Moussa et lui-même Abou Ziane étaient tous deux sous le choc imposé par un siège destructeur et meurtrier, Dâd, intendante de la fille d'Abou Ishac que leur père avait épousée, était venue devant eux pour leur adresser ces paroles : “- Les dames de votre palais, les demoiselles de la famille Ziane, toutes les femmes de votre maison m'ont chargée de vous délivrer ce message : quel plaisir pourrons-nous avoir à vivre plus longtemps ? Vous êtes réduits aux abois : l'ennemi s'apprête à vous dévorer – encore quelques instants de répit – et vous allez succomber. Donc, épargnez-nous la honte de la captivité, ménagez en nous votre propre honneur et envoyez-nous à la mort. Vivre dans la dégradation serait un tourment horrible ; vous survivre serait pis que le trépas.” Après avoir échappé à un péril imminent par la levée miraculeuse du siège de Tlemcen, le sultan Abou Ziane, mon énigmatique passager, rétablit son autorité dans toutes les parties de son royaume. Dès lors, écrit Ibn Khaldoun, il se mit à restaurer ses palais, à replanter ses jardins et à réparer les dégâts que sa ville avait éprouvés. “- Ma mort, intervenue en avril 1308, allait précipiter l'avènement de mon frère Moussa Ibn Othmane, surnommé Abou Hammou Moussa. Mais suis-je réellement mort mon fils ? Je suis la dynastie, le royaume des Zianides. Je suis l'histoire et l'histoire est immortelle.”
(À suivre)
A. M.
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