À peine quarante-huit heures après l'élimination d'Oussama ben Laden par un commando d'élite américain à Abbottabad, ville garnison située à 80 km seulement de la capitale pakistanaise Islamabad, les relations déjà compliquées entre les deux pays se dégradent davantage. Ainsi, le Pakistan a dénoncé, mardi, le raid mené sur son sol pour éliminer le chef d'El-Qaïda, alors même que les Etats-Unis avouaient avoir tenu à l'écart les autorités pakistanaises, de peur que l'ennemi américain numéro un ne soit alerté et n'en réchappe. “Le Pakistan exprime sa vive préoccupation et ses réserves sur la manière dont le gouvernement américain a mené à bien cette opération sans information ni autorisation préalables du gouvernement pakistanais”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères de ce pays. Après avoir affirmé que de tels agissements sont contraires aux règles qui régissent les relations entre Etats souverains, le chef de la diplomatie pakistanaise a ajouté que de telles opérations “minent la coopération et représentent parfois aussi une menace pour la paix et la sécurité internationales”. Le Pakistan a été fortement soupçonné de jouer double jeu en matière de lutte antiterroriste et même d'avoir protégé ben Laden. Ces soupçons, plusieurs fois exprimés par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton lors de ses déplacements dans la région, ont été clairement énoncés par le directeur de la CIA, Leon Panetta, dans un entretien accordé au magazine Time. La suspicion dont font l'objet les autorités pakistanaises est renforcée par le fait que le terroriste le plus recherché du monde ait trouvé un asile doré depuis cinq ans dans une ville garnison, alors que les services de renseignement pakistanais orientaient les recherches vers les zones tribales frontalières de l'Afghanistan. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à émettre des doutes sur la sincérité de la coopération du gouvernement pakistanais et de ses services de renseignement. Ainsi, le Premier Ministre britannique David Cameron a déclaré que Londres a “des questions” à poser au Pakistan après l'élimination de ben Laden. “Le fait que ben Laden ait vécu dans une grande maison dans un quartier résidentiel montre qu'il devait avoir un réseau de soutien” dans le pays, a-t-il ajouté. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, partage la même suspicion. La position du Pakistan manquait de “clarté”, selon lui. Il a notamment affirmé avoir “un peu de mal à imaginer que la présence d'une personne comme ben Laden”, le chef terroriste le plus recherché dans le monde depuis une décennie, “ait pu passer complètement inaperçue”. Devant cette volée d'accusations à peine voilées, le président pakistanais Asif Ali Zardari a réagi à travers une tribune publiée par le Washington Post. Pour lui, l'élimination de ben Laden est le résultat “d'une décennie de coopération et de partenariat entre les Etats-Unis et le Pakistan”. La Maison-Blanche fait néanmoins preuve d'une grande retenue à ce sujet. Alors même que le Congrès n'exclut pas la suppression de l'aide importante accordé à cet “allié” peu sûr, le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, affirmait que les Etats-Unis travaillaient “très dur” aux relations entre les deux pays, qui sont “importantes et compliquées”. De même, le porte-parole du département d'Etat, Mark Toner, a estimé que l'aide américaine au Pakistan est “à la fois dans l'intérêt à long terme du Pakistan et dans l'intérêt national de la sécurité des Etats-Unis”. Il est vrai que Washington, après le succès de l'opération Geronimo qui a permis la liquidation de ben Laden, n'a pas intérêt à encourager la dégradation de ses relations, aussi obscures soient-elles, avec Islamabad. L'élimination du chef d'El-Qaïda peut lui permettre d'envisager une sortie sinon victorieuse, du moins honorable, du bourbier afghan où les Etats-Unis et leurs alliés sont enlisés depuis dix ans. Mais il est vrai aussi que rien ne peut se faire sans une implication active du Pakistan.