Ailleurs, sous d'autres cieux, les stratégies économiques et financières sont fixées et mises en œuvre sur le long terme. Ce qui en fait assez souvent leur succès. En revanche, chez nous, nous continuions à vivre au rythme semestriel des lois de finances (LF) et des lois des finance complémentaires (LFC), même si nous disposons d'un plan quinquennal. Ainsi, à titre d'illustration, le président Obama a pris une mesure stratégique de long terme au moment même où il déclare sa candidature pour un nouveau mandat, et arrache un compromis fiscal de dernière minute. Cette mesure, forcément impopulaire, porte sur la réduction du budget fédéral de 4 000 milliards de dollars sur douze ans. Pour justifier cette décision dont les répercussions vont être importantes sur la société et l'économie américaines, il dit : “Nous n'avons pas à choisir entre un avenir où nous serions emportés par la spirale de la dette et un où nous devrions abandonner les investissements nécessaires à notre peuple et à notre pays.” Et pourtant son mandat se termine en 2012. On peut comprendre qu'en Algérie, les préoccupations de court terme, portées par la dynamique sociale, soient prises en charge prioritairement. À cet effet, la LFC 2011 intégrera sans doute les nouvelles charges induites par “les mesures de soutien de prix à la consommation de plusieurs produits vitaux pour la vie quotidienne des citoyens”, mais aussi les augmentations de salaires arrachés par le mouvement social depuis le début de l'année 2011. Malgré les dangers réels d'une dérive inflationniste, on ne peut pas être plus royaliste que le roi. Dans un timide mea-culpa sur les modèles tunisien et égyptien, le directeur général du FMI disait lui-même : “Les chiffres macroéconomiques n'étaient pas mauvais, mais où la population n'a pas vu le changement.” En revanche, le temps politique n'a de sens que s'il intègre les problématiques de long terme et en anticipe le traitement. C'est pour cela qu'un premier bilan d'étape du plan quinquennal (2010-2014) est à produire. On peut y relever, selon moi, des résultats contrastés et en tout cas une trajectoire à corriger. Commençons par les bonnes nouvelles. À l'évidence, les infrastructures, les utilités et le logement ont connu, sur fond d'aménagement régional, de grandes avancées. Le dernier projet, mis en service, de transfert et de traitement d'eau d'In Salah à Tamanrasset, d'une capacité finale de 100 000 m3/jour, est structurant à plus d'un titre. Outre qu'il contribuera à sécuriser nos frontières sud par la fixation des populations, il sera créateur d'activités dans le tourisme, les services et l'agriculture, notamment. Au nord du pays, la situation hydrique s'est également améliorée. En plus des barrages et des grands transferts, ce sont 12 stations de dessalement d'eau de mer, d'une capacité totale de 2,2 millions m3/jour, qui seront mises en service en 2012 le long du littoral de Beni Saf à El-Kala. Pour l'énergie, les bons résultats, notamment en matière d'électrification rurale et saharienne, sont consolidés avec un prix de l'électricité deux à trois fois moins cher que chez nos voisins. Un programme d'énergies nouvelles et renouvelables à l'horizon 2030 a été élaboré. Il prévoit la production de 22 000 MW d'énergies nouvelles et renouvelables, dont 10 000 MW destinés à l'export. Il vise aussi à diminuer la consommation de gaz naturel dans les centrales électriques et à favoriser l'émergence d'une industrie des énergies renouvelables. Pour le logement, contrainte sociale majeure, on devra relever également un élément de bilan positif puisque près d'un million de logement a été réalisé, et un autre million le sera dans le programme en cours. Quant aux insuffisances, elles sont encore trop nombreuses. Les retards sont visibles dans tous les secteurs de production de biens et de services : industrie avec moins de 5% de contribution au PIB, hydrocarbures avec les retards dans les programmes de recherche, services avec un déficit récurrent de 11 milliards de dollars/an, agriculture avec l'augmentation de la facture alimentaire. Les causes en sont systémiques. On peut observer ainsi que de segments localisés dans le système et en dehors du système se spécialisent dans la captation des rentes pour une minorité, constituant un effet d'éviction sur l'effort productif. Ils alimentent au passage le mécontentement social. Ces segments sont loin d'être déconstruits. Ils sont surtout repérables dans certaines activités d'importation, de distribution et de transactions foncières et immobilières. L'extension de la sphère informelle, le poids de la bureaucratie, l'élargissement de la corruption et le manque de transparence en favorisent le développement. Cette déconstruction ne peut être obtenue en luttant uniquement contre la corruption. Elle implique également le lancement sans cesse reporté du chantier de la modernisation de la gouvernance économique et sociale de l'Etat et de ses démembrements, y compris celui de la régionalisation. Le mouvement social initié depuis janvier 2011 est porteur, à cet égard, non seulement de revendications socioprofessionnelles, mais aussi de propositions pour une meilleure gouvernance de la Cité et de l'entreprise. L'initiative du groupe Nabni 2012 puis 2020 s'inscrit, de mon point de vue, dans cette même dynamique sociale, même si elle se veut “apolitique et non partisane”. Mais, malgré tout, c'est l'évolution du champ politique qui va être le facteur le plus déterminant de cette déconstruction inévitable. Les changements constitutionnels et les ouvertures démocratiques annoncés par le président de la République seront-ils suffisants pour ce faire ? On le saura assez tôt. Cependant, dans tout cela, ma crainte est que l'augmentation durable des prix des hydrocarbures, résultant à la fois du Printemps arabe et de l'incident nucléaire de Fukushima, risque de faire reporter aux calendes grecques la mise en place d'une économie diversifiée fonctionnant avec d'autres moteurs de croissance. Mais, à coup sûr, les exigences démocratiques du temps politique, dont je parlais plus haut, vont nous rappeler à l'ordre. En tout cas, je l'espère. M. M