Le feu couve entre les deux pays ! En apparence seulement. Washington soupçonne Islamabad d'avoir soutenu Ben Laden et les Pakistanais reprochent pour leur part aux Américains d'avoir mené leur raid contre leur ex-ennemi numéro un sur leur sol sans les avoir mis au parfum. Guerre de mots pour certains, pour d'autres, vais bras de fer entre les deux pays. Reste que de l'avis de tous, les Américains vont avoir des temps difficiles dans ce pays charnière pour leur stratégie régionale, voire sur tout l'Asie. En tout cas, l'opinion pakistanaise prie pour cela. Officiellement, les populations pakistanaises condamnent la violation de leur pays par les Etats-Unis, ils pleurent aussi la mort de l'icône du djihad. À Islamabad mais surtout à Peshawar, qui reste un bastion de l'islamisme au Pakistan, les partis politiques religieux et les mollahs n'ont pas arrêté de s'insurger contre le raid us. Les autorités pakistanaises, qui n'avaient pas été prévenues de l'opération commando américaine, ont salué la mort de Ben Laden comme un succès dans la lutte contre l'islamisme armé mais ont estimé que le raid des Navy Seals constituait une violation de la souveraineté du pays. Cependant, tandis que le gouvernement dénonce le fait de ne pas avoir été mis au courant de la préparation du rais et de son exécution le 2 mai dernier sur son territoire, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale politique, le quotidien britannique the Guardian affirmait lundi que cette opération a en fait été rendue possible grâce à un accord signé il y a dix ans de cela par l'ex-président-général Pervez Musharraf et le président américain de l'époque George W. Bush. L'accord a été signé après que Ben Laden eut échappé aux forces américaines dans les mythiques montagnes de Tora Bora fin 2001. Selon les termes de l'accord, le Pakistan acceptait d'autoriser les forces américaines à mener des raids unilatéraux au Pakistan pour rechercher Ben Laden, son bras droit Ayman Al-Zawahiri et traquer les chefs talibans. Après quoi, “les deux parties étaient d'accord pour permettre au Pakistan de protester contre cette intrusion sur son territoire”, a poursuivi the Guardian. La pâte enfle entre les deux pays. Les soupçons, mais, raison gardée, si les esprits s'échauffent, Washington et Islamabad savent qu'ils ont tout de même besoin l'un de l'autre, même si critiqué, notamment par l'opposition, le gouvernement pakistanais a ordonné une enquête sur le raid américain ! La rupture entre les deux pays n'est pas possible, estiment tous les experts de relations et stratégies internationales. En effet, il ne fait pas oublier que si Washington n'a pas classé le Pakistan dans sa liste des Etas voyous, c'est que ce pays est hautement stratégique pour les Américains. Pourtant, c'est un secret de Polichinelle : le Pakistan est aujourd'hui un épicentre du terrorisme mondial. Derrière ces tensions autour de Ben Laden, il y a la guerre en Afghanistan, le retrait programmé des forces américaines, et les Talibans sont loin d'être vaincus. Les Américains ont besoin d'Islamabad pour organiser leur stratégie de sortie du conflit en Afghanistan, selon des spécialistes de cette guerre, il leur sera difficile de se priver des intermédiaires pakistanais et de leurs réseaux, pour négocier avec les talibans. De son côté, Islamabad sait qu'il a des choses à vendre, notamment grâce à son armement nucléaire. En attendant la mort de Ben Laden a mis le feu dans les relations pakistano-américaines ? Et pour en rajouter une bonne couche, Yussef Kureshi, un célèbre mollah dans la région qui était le leader spirituel des moudjahidine antisoviétiques, vient de jeter son pavé : “Ben Laden a été créé par la CIA et n'a jamais été accueilli à bras ouverts au Pakistan. Il était ici comme beaucoup de combattants arabes qui se sont joints au djihad, mais il opérait de façon très secrète, sans se mêler avec nous, pachtounes.” La mort de Ben Laden pourrait servir de tremplin pour le gouvernement pakistanais pour s'affranchir du poids décisif de l'armée dans les affaires du pays. Le prestige de l'armée pakistanaise a été atteint de façon spectaculaire par l'intervention secrète d'un commando des forces spéciales américaines, venu tuer Ben Laden dans la nuit du 1er au 2 mai à Abbottabad, une ville de garnison située à une cinquantaine de kilomètres d'Islamabad. Le monde entier a alors appris que le chef d'Al-Qaïda, recherché par les Etats-Unis depuis près de dix ans, se cachait depuis des années sous le nez des militaires pakistanais. Les Pakistanais ont en outre été stupéfaits d'apprendre qu'un commando étranger héliporté avait pu pénétrer dans leur pays sans être remarqué. Depuis la mort de Ben Laden, les médias pakistanais, fait inhabituel, critiquent férocement l'armée et les services de renseignement, soupçonnés au mieux d'incompétence. Le président Asif Ali Zardari a essayé à plusieurs reprises d'affirmer son autorité sur les militaires. En vain. Il reste toutefois sous la coupe de l'armée dès lors qu'il s'agit des questions de sécurité intérieure, de diplomatie et de défense. C'est que les Etats-Unis eux-mêmes considèrent l'armée comme leur principal interlocuteur. La première personne qu'ils ont contactée après l'intervention de leur commando a été le chef d'état-major, Ashfaq Kayani.