Dépassé par une révolte populaire qui réclame l'abolition de la monarchie et l'instauration d'un régime républicain, l'émir du Bahreïn a appelé à sa rescousse les autres monarchies du Golfe. Appel aussitôt entendu puisque l'Arabie Saoudite et d'autres émirats lui ont dépêché des contingents de militaires et de policiers. Ce qui n'est pas pour surprendre de la part de cette monarchie et de ces émirats qui, sauf pour le cas de la Libye, se sont rangés sans ambiguïté du côté des dictateurs renversés ou menacés de l'être par les révolutions populaires qui secouent le monde arabe. Ce n'est pas parce que Kadhafi est un dictateur qui opprime son peuple que les monarchies du Golfe l'ont lâché et donné leur caution à une intervention internationale en vue de précipiter sa chute du pouvoir. Son seul tort qui lui vaut la haine de ces monarchies est d'avoir ouvertement souhaité leur disparition et dispensé son appui à ceux qui ont tenté de le faire. Le soutien donc que les monarchies du Golfe ont accordé à l'insurrection populaire en Libye ne leur a en rien été dicté par une quelconque sympathie pour sa nature révolutionnaire, démocratique et libertaire. C'est peu dire que ces monarchies sont au contraire déterminées à faire en sorte que s'arrête dans le monde arabe ce vent de révolte dont elles savent ne pas être à l'abri. Ce qui se passe à Bahreïn, à leur porte, a provoqué leur «union sacrée». En volant au secours de l'émir contesté de Bahreïn, elles ont donné la mesure de la peur panique que leur inspire le risque de contagion de la révolution antimonarchique qui est à l'œuvre dans ce pays. Leur intervention, destinée à briser au Bahreïn un mouvement populaire hautement démocratique dans ses revendications et pacifique dans son expression, n'a pas pour autant suscité grande indignation et condamnation de la part des Etats-Unis et des pays européens se disant favorables à la vague d'émancipation qui déferle sur le monde arabe et vise au changement démocratique. Les peuples arabes, et tous ceux qui dans le monde adhèrent sincèrement à leur combat pour la liberté et à leur quête de dignité, doivent se garder de faire une fausse interprétation de ce qui se passe en Libye et au Bahreïn. Dans les deux cas, une contre-révolution est à l'œuvre. Si elles triomphent, ça peut en être fini pour le Printemps arabe. Au-delà des discours officiels qui ne tarissent pas d'éloges et «d'encouragements» à l'égard de ce Printemps arabe, il y a des volontés convergentes régionales et internationales qui s'activent à le stopper, ou pour le moins à faire dévier la radicalité des changements dont il est porteur. Ce qui donne à comprendre pourquoi il est accordé le temps au dictateur de Tripoli de mener et conclure sa contre-offensive contre les insurgés soulevés contre son régime. Que l'on regarde ailleurs quand les monarchies du Golfe dépêchent au Bahreïn leurs renforts militaires et policiers. Les révolutions abouties de Tunisie et d'Egypte risquent d'être des exceptions, dont l'exemple sera empêché d'être suivi dans le reste du monde, surtout là où l'odeur du pétrole est la seule fragrance qui fait réagir les puissants du monde.