Le regard des spécialistes universitaires sur la situation de la presse en Algérie appelle sans doute à des efforts colossaux que doivent apporter à la fois les pouvoirs publics et les acteurs de la scène médiatique. C'est là l'une des conclusions qui ont fait l'unanimité à la table ronde à laquelle ont pris part, jeudi dernier, au pôle universitaire de Tamda, à Tizi Ouzou, des spécialistes de l'information et de la communication de l'Ecole supérieure du journalisme, ENSJSI, d'Alger et ceux de l'université Mouloud-Mammeri. Organisée sous le thème “pratiques journalistiques et questions d'éthique et de service public”, la table ronde, animée essentiellement par des professeurs universitaires dont Brahim Brahimi, Belkacem Ahcène Djaballah, Belkacem Mostefaoui et Bouguettaya Nassim, a été une occasion de dresser un constat sans complaisance sur la situation actuelle de la presse écrite et audiovisuelle en Algérie. En ce sens, le directeur de l'Ecole nationale du journalisme, Brahim Brahimi, est largement revenu notamment sur la loi sur l'information d'avril 1990. “La loi de 1990 contient de nombreux éléments positifs par rapport à celle de 1982 qui contenait 40 articles d'ordre pénal, mais il y a lieu aujourd'hui de conserver les acquis de la loi 90 et apporter des améliorations. Nous avons besoin d'un code de l'information qui va libérer la presse et non pas la contrôler”, a-t-il estimé, non sans souligner que pour ce faire il y a lieu d'introduire notamment la preuve du fait diffamatoire qui a été de tout temps rejetée et aussi le droit au secret professionnel. S'agissant de l'ouverture de l'audiovisuel, cette revendication vieille d'au moins deux décennies, Brahim Brahimi rappellera qu'elle a été juridiquement consacrée par la loi de 1990 mais est restée bloquée sur le terrain, offrant ainsi seulement un droit à l'information et non pas au droit à la communication qui ne peut être acquis qu'avec la libération du champ de l'audiovisuel. Concernant le Conseil supérieur de l'information, l'ancien directeur de l'Anep et de l'APS, Belkacem Ahcène Djaballah, a expliqué que la suppression de cet organe qui jouait un rôle de régulation, de protection et de promotion, et donc d'intermédiaire, “résulte de la tentation du pouvoir autoritaire à reprendre le contrôle et le pouvoir sur l'information et la scène médiatique devenues un véritable champ de pouvoir”. Sa réhabilitation, ont estimé les participants au débat, s'avère en effet des plus utiles pour permettre de réguler le paysage médiatique qui a donné lieu même à l'informel dans la presse algérienne. Dans sa communication sur la question de la presse privée et de la mission du service public, le chercheur universitaire, Belkacem Mostefaoui, a surtout mis l'accent sur ce qu'il qualifie de “barrages structurels” qui pèsent sur le paysage médiatique en Algérie. Entre autres, il cite le monopole de l'Etat sur l'audiovisuel et la création d'une pléthore de quotidiens, au nombre de 94, et parmi lesquels, dira-t-il, “il est devenu difficile de distinguer les roses du fumier”. De surcroît, dit-il, la plupart de ces quotidiens se nourrissent des mamelles de l'Anep et des multinationales, alors que tout le monde sait que “c'est celui qui rémunère l'orchestre qui choisit la musique”. Une influence publicitaire qui, estime-t-il, n'est pas sans influencer sur la mission de service public de la presse et aussi sa qualité. La Télévision algérienne, dont le pouvoir détient le monopole, n'a pas, elle aussi, échappé aux critiques des universitaires. C'était une comparaison présentée par Bouguettaya Nassim entre le groupe France Télévisions, la BBC et l'ENTV qui a révélé le gros des défaillances structurelles, les financements qui demeurent opaques, et notamment la déviation de sa mission de service public de la Télévision algérienne.