Selem Boubaker fut un militant de la première heure. Il a fait partie du groupe du 1er Novembre 1954 qui attaqua la ville de Khenchela, dont les premiers coups de feu ont raisonné dans tout le mont des Aurès-N'memcha, et dans toute l'Algérie. Selem est un militant du mouvement national depuis le début des années cinquante, il fut sensibilisé par Laghrour Abbès et militait sous ses ordres. Il était un de ses compagnons jusqu'à son arrestation en 1955 pendant la célèbre bataille du Djorf. Après des études primaires couronnées par un certificat d'études primaires, il poursuivit ses études dans une école de formation professionnelle, c'est là qu'il créa une cellule “Etudiants” du MTLD qui fournira les futurs combattants qui vont déclancher la révolution de Novembre 1954 à Khenchela. Selem Boubaker vu par lui-même à l'âge de 22 ans à son arrestation : “Je suis né en juillet 1933, à Khenchela. Je suis français-musulman. Je ne suis pas repris de justice. Je n'ai pas servi, ayant été réformé pour des raisons que j'ignore. Je lis et écris un peu l'arabe ; je parle, lis et écrit couramment le français. En 1948, j'ai passé avec succès les épreuves du certificat d'études primaires et j'ai été classé cinquième sur onze candidats reçus. En novembre, je suis entré à l'école professionnelle – section fer – qui venait d'être créée à Khenchela, mais qui n'était pas encore organisée. J'ai été reçu 1er aux épreuves d'entrée. Nous étions une quinzaine et nous avons nous-mêmes installé l'école en plaçant les portes, les fenêtres, en faisant la peinture… à la fin de trois années de cours… J'ai adressé plusieurs demandes d'emploi à la mairie et à la commune mixte de Khenchela mais sans succès. J'avais également adressé à l'académie de Constantine une demande d'emploi d'instituteur dans les écoles en construction dans les douars, car en plus de l'arabe je parlais aussi le chaoui ; on m'a répondu qu'il fallait avoir le baccalauréat pour occuper un emploi de ce genre.” (1) Selem Boubaker exerça plusieurs petits boulots avant de finir comme interprète puis infirmier chez le médecin de la ville. En parallèle, il militait au sein du MTLD sous la responsabilité de Abbès Laghrour. Il raconta l'histoire du Mouvement national dans la ville de Khenchela et les détails de l'attaque de la ville le 1er Novembre 54. Son récit, publié en 1974, a eu le premier prix national parmi plusieurs autres récits sur la révolution de Novembre. L'ensemble de ces récits a été publié dans un livre intitulé : Récits de feux, éd. Sned 1977. Prefacé par feu Mahfoud Kadache . Il fut le premier infirmier à soigner les premiers blessés de la Révolution. “Laghrour m'apprit qu'on allait attaquer le Borj de Khenchela, afin de prendre les armes qui s'y trouvent. Une dizaine d'hommes devaient participer à cette opération. Il précisa qu'il ne fallait tuer ni les femmes, ni les enfants, ni les vieux. Il spécifia aussi que si les deux cavaliers de garde rendaient leurs armes, il ne faudrait pas les tuer non plus. En qualité d'infirmier, je devais me trouver à la base de repli de Aïn Silene, pour soigner les blessés qui se présenteraient” (1). Homme jovial, d'une grande sensibilité, chaleureux, toujours souriant, il me racontait les années du militantisme à Khenchela d'une extraordinaire façon, on ne se lasse pas de l'écouter, il donnait les détails sur les plus simples événements, d'un intérêt évident pour les curieux de l'histoire de la Révolution. Je le félicitais en 1975 pour le 1er prix qu'il a eu suite à son récit sur le 1er Novembre à Khenchela. Il me prend par la main et avec son sourire rayonnant, il me dit : “Tu sais Salah ! je vais te dire quelque chose : tu peux me croire ou pas. "Alors c'est quoi", lui dis-je ? Il répondit : "Tu sais, Salah, crois-moi, pendant nos années de militantisme avant le déclenchement de la Révolution, Abbès nous conseillait d'aller voir les films révolutionnaires, il payait même les places pour ceux qui n'avaient pas les moyens. A la sortie du cinéma, on discutait du contenu et du héros du film. Abbès appréciait beaucoup mes commentaires. Il me tapait gentiment sur le dos et me disait : “Boubaker, nous ferons un jour la révolution ,nous mourons tous, tu resteras le seul survivant et tu écriras notre histoire !”. Il était ému, ses yeux sont remplis de larmes, mais était tout fier. Lors de son arrestation pendant la grande bataille d'El-Jorf en 1955, Selem Boubaker a raconté dans les détails et d'une manière intelligente son itinéraire scolaire, professionnel et politique jusqu'à la préparation de l'attaque de la ville sans aucune déclaration ou information qui pourrait nuire aux maquisards et à la marche de la Révolution. Malgré l'intervention de son père qui fut un grand invalide (amputé d'une jambe) de la guerre 14-18, réformé à 100% et dont un des fils, engagé en 1940, fut tué pendant la campagne de Tunisie. Il passa plusieurs années en prison. À l'indépendance, il exerça plusieurs fonctions dans les services de santé, entre autres, directeur de l'hôpital de Aïn Beïda, de Batna et de Constantine. Il écrira deux scénarios de films sur la révolution dont un L'étincelle fut primé. Malheureusement, aucun producteur public ou privé ne s'est intéressé. Selem Boubaker était titulaire de la médaille de Athir. Il a toujours vécu modestement, n'ayant jamais cherché le bien matériel, il est d'une intégrité exemplaire. Selem Boubaker vient de disparaître. Avec lui disparait une figure du mouvement national. (1) Extrait du livre de Claude Paillat Dossier secrets de l'Algérie Ed. Presse de la cité 1962 . Chapitre : “Confession de l'infirmier du premier maquis” page 63. Salah Laghrour (ingénieur)