En arrivant au pouvoir en 1981, soit moins de 20 ans après l'indépendance, Mitterrand est prudent parce qu'il sait qu' “il y a des gens en France qui vont dénoncer une bonne relation avec l'Algérie” et qu'ici la “dénonciation de la France est un combustible” pour nourrir le discours nationaliste. Il va donc développer une “vision pragmatique” et “empirique” de la relation bilatérale. Jean-Charles Marchani avait affiché toute l'assurance de l'espion qu'il était en faisant ses révélations sur l'arrêt du processus électoral en 1992 : François Mitterrand avait donné son feu vert à la décision de l'armée de renvoyer Chadli Bendjedid. Un avis qui n'est pas du tout partagé par de très proches collaborateurs de l'ancien président socialiste. Non seulement l'assertion est fausse. Pis encore, la décision de l'armée constitua “le moment le plus difficile” de la relation avec l'Algérie de François Mitterrand qui ne pouvait pas ne rien dire. “Il ne pouvait pas fermer les yeux sur l'arrêt d'un processus électoral”, a jugé Hubert Vedrine qui était alors secrétaire général de l'Elysée après avoir été conseiller diplomatique du chef de l'Etat. Avec Jacques Fournier, secrétaire général adjoint de la présidence (1981-1982), ancien président de Gaz de France (1986-1988), et Jean-Louis Bianco, secrétaire général de la présidence (1982-1991), ancien ministre (1991-1993), M. Vedrine participait mardi soir à un débat organisé par l'association Coup-de-Soleil sur “François Mitterrand et le Maghreb”. à croire ces trois proches, la France n'a jamais été avertie de la décision de bloquer les élections qui allaient mettre le FIS aux portes du pouvoir, pas plus que la France ait fait la moindre recommandation. “On ne nous a rien demandé et on n'a rien demandé”, a juré M. Vedrine qui se souvient que François Mitterrand avait réagi par un communiqué aux “mots pesés”. Le communiqué avait été jugé comme un acte d'ingérence par l'Algérie puisqu'il recommandait de reprendre le processus électoral. “C'était impossible pour la République française d'approuver une mesure de ce type”, selon Jean-Louis Bianco. “C'est un enjeu tellement compliqué...” et il était impossible de dire simplement “oui” ou “non” parce que “ce n'est pas à la France de décider”. On sait que par la suite, François Mitterrand dut s'accommoder des conséquences de la décision. “On n'a pas les relations diplomatiques avec les régimes parce qu'on les trouve sympathiques mais parce que les pays existent”, justifie Jean-Louis Bianco. Quand éclatèrent les émeutes d'Octobre 1988, François Mitterrand avait fait une longue intervention en Conseil des ministres qui n'avait pas été rendue publique. Il était difficile de se taire sur la sanglante mais “l'hypothèse à laquelle il s'interdisait de penser est l'établissement de la démocratie”. “Je ne dois rien dire qui aggrave les choses”, avait fini par trancher Mitterrand qui observait le détournement de la révolution iranienne. à ce moment-là, il était engagé sur la voie de l'apaisement avec son homologue algérien. “Il avait commencé à développer avec Chadli des rencontres assez informelles pour montrer qu'il était parvenu à une phase normale de la relation bilatérale. Il y avait cette volonté d'apaisement, de simplicité, de convivialité. Ils se rencontraient dans des endroits agréables, à Tipasa, à Zéralda”, se souvient encore Vedrine. Pendant ce temps, Mitterrand et Hassan II s'observaient comme “chien et chat”. Le président français “était impressionné par l'intelligence” du roi. Entre eux, il y a eu de “petites vacheries” mais “en gros, c'était bien géré”. Sur le Sahara occidental, “il a essayé un certain rééquilibrage”, et “il a été plus ouvert au Maroc”. Par contre, Mitterrand “detestait” Habib Bourguiba qui le lui “rendait bien”, selon Jean Daniel. En arrivant au pouvoir en 1981, soit moins de 20 ans après l'indépendance, Mitterrand est prudent parce qu'il sait qu' “il y a des gens en France qui vont dénoncer une bonne relation avec l'Algérie” et qu'ici, la “dénonciation de la France est un combustible” pour nourrir le discours nationaliste. Il va donc développer une “vision pragmatique” et “empirique” de la relation bilatérale. Par contre, il n'y a jamais eu de politique maghrébine de la France puisque le Maghreb n'existe pas en tant qu'entité politique ou institutionnelle. C'était donc “une politique assez fine, au cas par cas”.