L'islam, tel que présenté par certains depuis plusieurs siècles, n'est pas “clean”. Le docteur, Ahmed Djebbar, professeur d'histoire des mathématiques à l'université des sciences et technologies de Lille (France), a voulu le montrer, et surtout le démontrer, mercredi dernier. C'était au Palais de la culture de Kouba, lors d'une conférence de plus de deux heures dont l'intitulé était “Science, culture, art et religion : quelle cohabitation en pays d'Islam ?”. Cette rencontre, devant une assistance composée essentiellement de médersiens (les anciens élèves des lycées franco-musulmans), a été l'occasion pour le chercheur en histoire des sciences d'aborder des sujets considérés, en Algérie, et dans le monde musulman en général, comme tabous. L'un des points importants sur lequel il s'est attardé concerne la relation entre l'art et la religion. Pour cela, il s'est penché sur les images. Son introduction était des plus explicatives : “Vous avez sûrement remarqué qu'il y a des gens dès qu'ils rentrent dans une maison, ils retournent toutes les photos qu'ils y trouvent.” Pédagogue, le docteur Ahmed Djebbar, commença alors son analyse de cette “réalité”, le fait que l'islam interdirait les images représentant des êtres vivants. Il insista sur la nuance qu'il fallait faire entre l'interdit et l'admis, tout en précisant que “les images sont autorisées dans presque tous les pays musulmans”. L'ex-ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (de juillet 1992 à avril 1994) débuta par “un état des lieux” dans les deux autres religions monothéistes. Dans le judaïsme, “il y a un interdit” de la représentation, a-t-il affirmé, en se référant à l'ancien testament (exode 20 : 4). Pour le christianisme, c'est la même “sentence”, avec toutefois des périodes d'“autorisation”, tout en interdisant le commerce avec les images (de 787 à 813). Pour l'islam, l'historien des sciences a rappelé que dans le Coran, il n'y avait pas d'interdit : “Ceux qui interdisent se référant à deux versets sourate Al-anâme, 74, et sourate Al-maïda, 20”, a-t-il précisé, tout en ajoutant : “et pourtant, il n'y est pas du tout question d'interdit.” C'est à ce moment qu'il lâcha : “dans la société musulmane, le texte divin est prolongé par la tradition prophétique.” Il cita les deux hadiths sur lesquels est basée l'interdiction de la représentation des êtres vivants en islam. Le premier est “la tadkhoulou al-malakiatou baytane fihi kalbane awe souratane” (les anges n'entrent pas une maison dans laquelle un chien ou une image), et le second est “laâna Allaha al mousawirine” (Allah maudit les dessinateurs). Pour Ahmed Djebbar, l'interdiction est loin d'être aussi évidente. Il s'appuya sur les travaux de l'imam Al-Bukhari (810 – 870). “Il a récolté 7 300 hadiths et 97 chapitres thématiques, et aucun chapitre n'est consacré à la question des images.” Continuant son approche, il affirma que c'est grâce à l'émergence d'“un consensus” chez les théologiens qu'il y a eu “l'interdiction des images représentant des êtres vivants”. Le conférencier ne s'est pas contenté d'aborder le côté sunnite “contrairement à ce que beaucoup pensent, les chiites également interdisent les images”. Il indiqua qu'à l'instar des grands théologiens “orthodoxes”, ceux des chiites sont d'accord sur ce point. Avec sa rhétorique “spéciale”, Ahmed Djebbar fait rappeler, néanmoins, que dans le monde musulman, il n'y a pas eu de “prolongement politique” de cet interdit. L'unique exemple pour lui (en plus de l'Arabie Saoudite à l'époque contemporaine) remonte à l'an 721 quand le calife Omeyyade, Yazid II avait promulgué un décret contre les images. Sur les raisons du “contraste” entretenu autour de cet interdit, le chercheur fournit, entre autres, deux “justificatifs” : “le comportement de la tradition n'est pas figé” et “la pérennisation des habitudes de groupes sociaux”. D'ailleurs, il regretta le fait qu'il n'y ait pas eu assez d'études sur ces “comportements”. En attendant, il a donné rendez-vous aux présents pour le Ramadhan prochain, sur les cinq chaînes nationales, où il aura une émission quotidienne de huit minutes.