Lorsque deux grands auteurs discutent, l'anecdote l'emporte sur l'histoire, l'humour sur le sérieux, le drame devient supportable, les malheurs semblent s'adoucir et le fardeau s'alléger. C'est ce qu'on retient du deuxième rendez-vous de “Auteurs en dialogue”. Les territoires de l'imaginaire, de l'exil (linguistique et physique) et ceux de l'écriture, ont été explorés par Atiq Rahimi (Afghanistan) et Waciny Laredj (Algérie), durant le dialogue qu'ils ont eu, avant-hier soir, dans le cadre du quatrième Festival international de la littérature et du livre de jeunesse. Ce deuxième rendez-vous de “Auteurs en dialogue” a permis de découvrir deux grands écrivains, qui ont un véritable projet d'écriture, qui ont conscience de l'écriture et connaissent parfaitement le pouvoir des mots. Même s'ils considèrent que leur travail est sérieux, ils ne considèrent pas que leur littérature change le monde, parce qu'ils démarrent de questionnements personnels. Ainsi, l'écriture devient un acte passionnel, charnel et intime. Drôles et décontractés, entre le Goncourt 2008 et “le loup de la littérature algérienne” (comme l'a qualifié le modérateur, Sofiane Hadjadj), il existe plus de convergences que de divergences. Evoquant son roman, Syngué Sabour (Pierre de patience), Atiq Rahimi expliquera que c'est l'immolation par le feu d'une poétesse afghane par son mari, qui l'avait au départ révolté puis inspiré. Ce roman poignant qui n'est pas situé dans l'espace géographique, lui a valu un des prestigieux prix français (et c'était sa première expérience en langue française) parce que, sans doute, c'est un livre qui s'intéresse à l'individu. Dans, Syngué Sabour, la femme (personnage central) sortait de son silence, se débarrassait des maux par des mots simples et tranchants combinés à une écriture sèche et un style épuré. La femme devenait l'histoire. Toujours dans le sillage de la littérature sur les femmes et leur difficulté d'être au monde et dans ce monde, Waciny Laredj s'est intéressé à son roman les Ailes de la reine qui est, pour lui, “une écriture sur mon rapport avec la mort. J'ai essayé de produire la vie, car l'art reste le dernier rempart contre la haine”. En effet, ce roman sorti en 1995 (temps de l'écriture : 1991), a été écrit dans un contexte difficile où il y avait “une négation du corps de la femme” alors que le personnage central du livre, Meriem, était une danseuse de ballet. La femme est donc au centre des deux œuvres des deux romanciers ; et selon Waciny Laredj, “le côté féminin est l'équilibre de l'écriture”. Mais qu'en est-il de l'histoire ? Le romancier algérien qui a cité en exemple son ouvrage, Le Livre de l'Emir dans lequel il considère avoir peint les contours de “mon Emir à moi”, il “utilise l'histoire comme élément de bâtir une fiction” ; alors que Atiq Rahimi considère que “décrire la guerre comme un spectacle ne m'intéresse pas. Par exemple, lorsque je vois un enfant qui regarde la destruction de sa maison, c'est sa souffrance qui m'intéresse”, a-t-il appuyé. La langue française “un butin de guerre” ? Le deuxième axe développé par les deux romanciers est la problématique de l'écriture et de la littérature. Atiq Rahimi a repris Milan Kundera pour illustrer son propos. Il pense – tout comme Kundera – que “l'art du roman n'est pas l'art de décrire la réalité, mais la possibilité. Les œuvres, entre autres de Kafka était carrément prophétiques parce que les auteurs ne réfléchissaient pas sur la réalité mais sur la possibilité humaine”. Waciny Laredj qui partage cette vision de la littérature, a signalé que “la littérature nous donne cette possibilité de rêver et nous secouer lorsque la possibilité du rêve cesse”. Inévitablement, la question de la langue a été abordée, puisque Atiq Rahimi a renoncé au persan (première langue d'écriture), et Waciny Laredj a délaissé, pour un temps, la langue arabe, pour écrire en français. Le premier a expliqué qu'outre le fait que “la langue persane n'est pas encore une langue de roman”, il avait écrit trois romans en persan et il commençait à sentir une sorte de tranquillité et d'aisance, alors qu'il a décidé de s'orienter vers le français, pour retrouver ses premières fois, avec ses doutes et ses angoisses. Atiq Rahimi a également ajouté qu'après la chute des talibans, il était retourné en Afghanistan, en 2002. Il n'était plus exilé et “je voulais maintenir cet état d'exil par la langue”. Quant à Waciny Laredj qui estime que “la langue arabe je ne sais pas vraiment si c'est une langue maternelle ; c'est le dialecte notre langue maternelle”, il a raconté sa mésaventure éditoriale et la difficulté de trouver un éditeur au milieu des années 1990, en Algérie et même dans le monde arabe. Ce qui l'a poussé à écrire en français parce que c'était “un moyen de me libérer pendant un laps de temps. Par la suite, je suis revenue vers la langue arabe mais c'était différent”. Et de déclarer : “J'ai un rapport très pacifique avec la langue arabe. J'ai deux romans en langue française qui m'a sauvé du silence”. Si Atiq Rahimi veut “faire dire aux mots ce qu'ils n'ont pas encore dit”, Waciny Laredj a une attitude très sereine envers son bilinguisme. Durant cette rencontre, l'anecdote l'a emporté sur l'histoire, l'humour sur le sérieux, le drame est devenu supportable, les malheurs semblaient s'adoucir et le fardeau s'alléger. Et quel bonheur de découvrir deux auteurs qui conçoivent l'écriture comme moyen de mettre en valeur l'individu, avec ses grandeurs et décadences, ses splendeurs et ses misères.