La Bolivie est en pleine révolution. De violentes manifestations ont déferlé dans la capitale, La Paz, durant presque un mois pour exiger le départ du président Gonzalo Sanchez de Losada, accusé de travailler que pour les intérêts des latifundistes et oligarques liés au capital étranger. Losada, qui a vécu aux Etats-Unis s'est révélé l'archétype même des dirigeants honnis de la période des républiques bannières. Sa décision de brader le gaz naturel bolivien en l'offrant, à moindre coût, à son pays d'adoption et qui, plus est, en le faisant transiter par le Chili, un pays contre lequel les boliviens nourrissent de profonds ressentiments dus aux conflits frontaliers du passé, a provoqué une vigoureuse mobilisation syndicale qu'il a durement réprimé en faisant charger la police et l'armée. Il fait tirer sur les manifestants, comme aux heures de gloire du fascisme latino-américains. Losada est soutenu par Bush pour qui l'opposition bolivienne est antidémocratique, voire mafieuse. Au prétexte que le mouvement social regroupe également des “cocaléros”, ces paysans qui n'ont pas d'autre choix que de cultiver la coca, leurs terres sont les moins fertiles, et les subventions devant permettre la substitution de ce produit prohibé, sont détournées par les autorités elles-mêmes. La culture de la coca est également une source de revenus supplémentaire pour les militaires et la police chargés de l'interdire. Tiraillés de toutes parts, les paysans, Indiens pour la plupart, ont alors placé leur combat sur le front identitaire, contestant l'hégémonie de l'establishment de La Paz, américanophobe. Ils se sont mis sous l'étoile d'Evo Moralès, le leader des producteurs de la coca qui a été battu à la présidentielle par Losada grâce à ses mentors de La Paz et à Washington. La répression forge l'alliance entre syndicats des villes et associations des campagnes, qui ont manifesté ensemble avec les mêmes slogans. Ils ont exigé un développement durable, pourvoyeur de richesses pour les enfants du pays, condamnant l'application aveugle de la potion du FMI et de l'OMC par leurs dirigeants. 60 Boliviens meurent en un week-end, lors d'affrontements avec les forces de police et l'armée. Losada gèle sa décision de brader le gaz. Trop tard. Pour les protestataires, il doit partir. Impopulaire, le président issu des milieux d'affaires voit ses soutiens se détourner de lui, l'un après l'autre. La coalition, qui lui avait permis de l'emporter sur son rival indien Moralès, vole en éclats. Le mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) l'abandonne pour protester contre la répression, tandis que le parti populaire Nouvelle force républicaine (NRF), lui, exige son remplacement par le vice-président, Carlos Mesa, conformément à la Constitution. Losada, prisonnier dans son palais, cerné par les manifestants dont les rangs n'ont cessé de grossir, jette le gant. Il retourne aux Etats-Unis. Pour rétablir la confiance, son successeur, Carlos Mesa, sait qu'il doit satisfaire les revendications des Boliviens. Le fera-t-il ? Ce qui se passe en Bolivie signe également, aux yeux de nombreux observateurs, le retour du tiers-mondisme. Le libéralisme outrancier, dans l'air du temps sur la planète depuis la chute du mur de Berlin, a, apparemment, fait son temps. Les peuples du Sud donnent l'impression de faire chorus avec les altermondialistes qui sont sur le front de la démocratisation des relations internationales depuis qu'ils ont croisé le fer avec leurs propres gouvernements à Seattle (USA), à l'occasion d'un sommet de l'OMC. En Bolivie, les syndicats, ouvriers et paysans, auxquels se sont joints les étudiants, l'intelligentsia et les éléments ouverts de la classe moyenne ont dénoncé, au travers du départ de Losada, la révision du tout-libéral qui a mis la société bolivienne en exsangue, livrant le pays au desiderata de Washington. C'est le même état d'esprit partout dans le monde. L'OMC ne vient-elle pas d'être déboutée à Cancun (Mexique) par des pays du tiers monde ? D. B.