Liberté : Près d'un an et demi après l'éclatement du scandale de Sonatrach, subsiste-t-il encore des traces de malaise dans la plus grande entreprise du pays ? Mustapha Mekidèche : Je crois qu'il aurait fallu en principe attendre que la justice passe pour en parler. Ceci dit, si l'on s'en tient aux résultats opérationnels et financiers, la résilience de la Sonatrach est palpable. Néanmoins, il faudra reconstruire un climat de confiance pour libérer les initiatives des gestionnaires sans lesquelles la croissance du groupe serait sérieusement affectée. Je ne crois pas que la seule mise en place d'un code de bonne conduite et d'une charte d'éthique, pour nécessaire qu'elle fût, pourrait être suffisante pour apaiser et développer les initiatives. J'ai été invité dernièrement par le bâtonnat d'Oran à une journée d'étude à Arzew sur la dépénalisation de l'acte de gestion. J'ai été étonné, pour l'avoir vérifié en direct auprès de l'auditoire, de la très faible présence de gestionnaires de cette importante zone industrielle. On a l'impression qu'ils sont encore tétanisés. Le problème de gouvernance, s'il a jamais réellement existé, avec des guerres classiques de leadership, a-t-il été résolu ? ll De quel problème de gouvernance parlez-vous ? Au sein de la Sonatrach ou dans les rapports qu'entretient la Sonatrach avec l'Etat ? Au sein de la Sonatrach les organes sociaux ont toujours fonctionné sans discontinuité, même si le contrôle interne et l'audit ont été sous-estimés. Il reste les problèmes récurrents des marges de fonctionnement de la Sonatrach par rapport à la tutelle et à l'Etat de façon générale. Ce problème existe depuis la création de la Sonatrach ; il faudra bien le mettre à plat un jour et le traiter selon les normes admises internationalement dans l'industrie des hydrocarbures. Par exemple les conditions d'exercice des transactions commerciales devraient être précisées spécifiquement car le code des marchés publics est, selon moi, trop générique pour s'appliquer dans les mêmes conditions à l'administration, aux établissements publics et à des groupes marchands publics intervenant à l'international comme la Sonatrach ou même Air Algérie. Cela même si le dernier amendement du code des marchés publics a introduit de la souplesse et de la réactivité au profit des donneurs d'ordres publics. À l'international, pensez-vous que les derniers accords signés par Sonatrach et les Espagnols de Gas Natural soient significatifs d'un point de vue stratégique, ou alors que l'entreprise algérienne devrait nourrir plus d'ambitions à l'international ? ll Bien sûr que le rapprochement de la Sonatrach avec le groupe énergétique espagnol Gas Natural est significatif du point de vue stratégique car l'Espagne est, avec l'Italie, l'une des portes d'entrée de notre gaz naturel vers le marché européen. Tôt ou tard le réseau de transport et de distribution européen sera interconnecté et nous pourrons approvisionner par exemple nos clients allemands ou anglais par la voie terrestre. Cette option offrira alors plus de flexibilité et de sécurité à ces types de marché qui souhaitent plusieurs portes d'accès et une plus grande diversification de leurs sources d'approvisionnement. Par ailleurs, ce type d'accord facilitera l'entrée de la Sonatrach dans le segment final de la chaîne de distribution de gaz. Mais il y a aussi le maintien et le développement des actifs de BP en Algérie qui méritent aussi d'être signalés. Pour le reste, nourrir plus d'ambitions internationales impliquera forcément pour la Sonatrach une plus grande flexibilité, une plus grande prise d'initiatives et donc de risques dans la conduite des opérations ; ce qui nous renvoie à la problématique des questions précédentes. Ceci dit, Sonatrach est présente aussi dans la plupart des pays frontaliers. Le contexte de guerre larvée à l'international, concernant tout ce qui a un quelconque rapport avec l'énergie, permet-il un redéploiement de Sonatrach et à quelle condition ? ll Pour cela il faut faire confiance à la Sonatrach car elle connaît bien les différents segments internationaux de son marché en termes d'opportunités mais aussi de menaces. Les mises à jour de sa démarche commerciale intègreront les conséquences des dernières menaces dont vous parlez, notamment dans la région Moyen-Orient- Afrique du Nord. Mais elle les recadrera probablement dans la perspective stratégique dont elle a l'initiative. Rappelez-vous qu'elle a été, en 1998, le premier découvreur d'hydrocarbures dans le monde. Plus tôt, mais dans la même décennie du terrorisme, elle a mis en fonctionnement son premier gazoduc vers l'Espagne tout en assurant sans discontinuité les approvisionnements énergétiques de l'Europe. Après avoir connu cela, ce n'est pas l‘arrivée tardive de nouveaux entrants dans le marché européen du gaz et les pressions extérieures en vue de la baisse du prix du gaz qui freineront la Sonatrach dans la mise en œuvre de sa stratégie. D'où l'enjeu essentiel de la restauration rapide d'un climat de confiance et de sérénité pour accompagner la première entreprise africaine dans ce redéploiement auquel vous faites allusion. D. Z.