Après près deux de heures de spectacle, on s'interroge encore sur l'ingrédient qui fait le succès de ce diablotin de Ghazaouet, au verbe haut. Mais peut-être que le secret de Secteur est l'emprunt qu'il fait à la sagesse populaire. Par des mots simples (et parfois crus), se dessine la “trizophrénie”, concept selon lequel il y aurait un décalage entre ce que pense, ce que dit et ce que fait l'Algérien. Le théâtre de verdure du complexe culturel Laâdi-Flici (Etablissement Arts et Culture) était archicomble, dimanche soir. La raison ? Abdelkader Secteur présentait, pour la première fois à Alger, son spectacle Vie de chien, créé en 2009, et joué au Jamel Comedy Club. En effet, c'est grâce à Jamel Debbouze (et à son Comedy Club) que Abdelkader Secteur nous est revenu par la grande porte, puisque sa chance, il ne l'aura pas eu en Algérie, mais de l'autre côté de la Méditerranée. C'est devenu une constante : pour connaître le succès, il faut s'exiler, être sacré et consacré ailleurs ! Une aberration qu'on mettra encore une fois sur le compte de ce concept de la “Trizophrénie”. Mais revenons au spectacle. Abdelkader Secteur a présenté, avant-hier soir, son one-man-show, Vie de chien, composé de six sketches, dont chacun nous renvoie à notre propre réalité, à notre quotidien, à nos hypocrisies, mais également à notre sentimentalisme et à nos émotions à fleur de peau. Le phénomène des harragas, l'intégration, l'hypocrisie et la censure sociales, l'arrivée des téléphones portables dans les salles de prière, ou encore la chanson raï et ses textes incompréhensibles et parfois incongrus, sont autant de thèmes qui se greffent à ce spectacle, où se déclinent les caractéristiques de l'Algérien et son rapport fragmentaire et fragmenté à la réalité. Une réalité souvent amère et parfois violente, mais qui devient désopilante lorsqu'elle est rapportée avec l'accent ghazaoueti d'Abdelkader Secteur. Dès le départ, il affiche la tendance. Etant donné que “beaucoup de personnes, de journalistes, me demandent de revenir sur mon parcours de Ghazaouet à Paris”, l'humoriste propose au début de Vie de chien de raconter son parcours. Mais pas celui qui a commencé en 2009, plutôt son premier départ (fictif) pour la France en 1991 avec son ami, Ahmed Regret (surnommé ainsi parce qu'on lui avait refusé 43 demandes de visa). Tous deux atterrissent dans la capitale et pour s'intégrer dans ce pays, si différent de ce qu'ils connaissaient déjà, ils décident d'adopter un chien. Oui, mais en France, “le chien possède un carnet de vaccination, une carte d'identité, un passeport et même un album de famille”. En plus de traiter de l'intégration, Abdelkader Secteur fait une sorte de parallèle entre ces chiens “bling-bling” au mode de vie plus que décent, et les milliers de harragas qui partent à bord d'embarcations de fortune, à la recherche d'un idéal. Le showman fait ensuite un second parallèle entre nos habitudes et celles des Français, et parle de son enfance, et de la difficulté d'être dans ce monde quand on a le cœur plein de rêves qu'on arrive point à réaliser tant on peine à entrevoir le bout du tunnel, tout en remettant au goût du jour son sketch de l'enterrement du “Gaouri”. Sagesse populaire Dans le sketch relatif à l'arrivée des téléphones portables dans les salles de prière, Abdelkader Secteur dessine les contours psychologiques de l'individu, notamment avec le personnage du prieur qui a chanson de Houari Dauphin (“Je pense à toi, je pense”), et dont toutes les pratiques, notamment religieuses, sont cultivées pour épater et impressionner les autres. On trouve parfois des similitudes avec d'autres artistes (Fellag, Gad El Maleh et Jamel Debbouze), ce qui est tout à fait normal puisque le spectacle d'Abdelkader Secteur — qui a réellement interagi avec le public en lançant des vannes à son adresse de temps à autre — s'appuie sur un humour maghrébin savamment dosé. De plus, alors que d'autres s'embarquent dans des tirades et des soliloques interminables qui ne font vraiment pas avancer le “Schmilblick”, Abdelkader Secteur emprunte à la sagesse populaire, décortique par des mots simples les habitudes des uns et des autres, sans jugement et sans préjugés, mais avec beaucoup de morale (parfois trop quand même !). Sara Kharfi Le samedi 23 juillet 2011 à 20h, spectacle Vie de Chien d'Abdelkader Secteur, au théâtre de verdure d'Oran.