Les Berbères veulent simplement être des Berbères, comme les Chinois sont des Chinois, les Japonais des Japonais, et les Arabes des Arabes. 11iéme partie Enfin, comme en témoigne un membre de l'intelligentsia israélienne : “La société berbère semble avoir été I'une des rares à n'avoir pas connu I'antisémitisme. Le droit berbère, azarf contrairement au droit musulman (et au droit juif soit dit en passant), est tout à fait indépendant de la sphère religieuse. Il serait, par essence, laïque et égalitaire, et n'impose aucun statut particulier au juif…” (Elbaz, p. 84). Cela suppose l'existence d'une philosophie amazighe du droit. Or, cette philosophie existe bel et bien. Elle aurait été explicitée, en des temps très anciens, dans un jugement rendu par un tribunal coutumier, à propos d'un litige foncier. L'une des parties ayant affirmé que le terrain faisant l'objet du procès “appartenait à sa famille depuis qu'elle était descendue du ciel”, les juges donnèrent gain de cause à l'autre partie, laquelle avait affrmé, elle, que le terrain “appartenait aux siens, depuis qu 'ils avaient germé dans son sol”... “Attendu que rien ne descend du ciel, et que tout monte de la terre… !” proclama haut et fort le tribunal... Et c'est de cette même philosophie que participe la valorisation du travail dans la culture berbère: “Si tu ne te fais pas de cloques, ô ma main, c'est mon cœur qui en aura !” dit le poète. Ce patrimoine immatériel, qui est l'âme même de la berbérité, est toujours standing by et ne demande qu'à être recyclé et réinvesti dans la vie modeme ; sa plasticité le lui permet, lui qui se réclame de la seule humanité. Mais il attend que le support linguistique dont il est le produit soit libéré de l'impérialisme culturel dont il est victime. Lisons sur la question ce qu'a écrit, il y a plus de vingt ans, I'un des meilleurs spécialistes des langages de l'humanité : “... Ie fait berbère n'est reconnu ni en AIgérie ni au Maroc, où, de façon différente mais avec la même vigueur, s'exerce la même pression tendant à les [les Berbères] arabiser... Cependant, la volonté de survivre se développe et pose même un problème politique qui n'existerait vraisemblablement pas sans l'affirmation de l'impérialisme culturel arabe” (M. Malherbe, p. 204). Cet impérialisme s'exerçait à l'époque au nom du panarabisme, dont l'araboislamisme a désommais pris la relève. Pourvu que l'amazighité ne soit pas anathémisée par quelque fatwa du genre “Hors de I'arabité, point d'islam !”. Puissent nos correligionnaires arabes comprendre que les non-arabes ont aussi le droit d'être fiers de ce qu'ils sont ! Les Berbères veulent simplement être des Berbères, comme les Chinois sont des Chinois, les Japonais des Japonais, et les Arabes des Arabes. Ils veulent pour cela cultiver ce qu'ils ont de foncièrement spécifique : leur langue. Ils veulent la développer, la moderniser, et la transmettre à leurs enfants ; c'est en elle qu'ils communient avec l'être. Et qu'on ne s'y trompe pas ! Leur langue a une valeur intrinsèque indéniable ; aussi est-elle encore en vie, et nulle autre qu'elle ne connaît mieux Tamazgha, son berccau. Elle a son alphabet, tifinagh, dont la “survivance... est d'autant plus émouvante qu'il s'agit d'une écriture fort ancienne, et dont les origines plongent dans la protobistoire” (Camps, p. 276). Totalement modernisé, cet alphabet n'a rien à envier à l'alphabet latin lui-même (Doenment n° VIII). Il matérialise admirablement l'identité culturelle des Imazighen, et reflète quelque part leur tempérament. C'est la volonté de défendre jusqu'au bout cet héritage, conjuguée à l'indignation provoquée par de grossières falsif¦cations de l'histoire, qui explique la vigueur du sursaut identitaire berbère. (À suivre) M. C