Le général Carter Ham, patron de l'Africom, “guest star” de la Conférence sur le partenariat antiterroriste au Sahel qui vient de se terminer à Alger, “n'aime pas la guerre”, selon ses propres mots mais évoque peu de solutions quant à celle qui se prépare au Sahel. Il fallait être une pointure pour faire sortir les journalistes algériens de leur lit un jeudi matin à 7 heures, leur seul jour de repos, et Carter Ham en est une. Le patron de l'armée américaine, qui a pour mission de surveiller le Maghreb et l'Afrique pour le compte du Pentagone, est déjà venu à Alger lors de visites hautement sécurisées sans pour autant dissiper ce lancinant malaise de la présence américaine en Afrique. Une présence exacerbée par l'engagement atlantiste en Libye. Devant les journalistes dopés au café et “checkés” au scanner de l'ambassade US à Alger, c'est l'ambassadeur Henry Ensher qui ouvre le bal dans un… arabe à faire pâlir notre présentateur du JT de 20h. On sent l'accent syrien dans sa diction parfaite, le même que celui de l'ancien ambassadeur Robert Ford, qui se trouve précisément en Syrie où il ne s'est pas fait beaucoup d'amis. À Alger non plus quand il était en poste, et ce ne sont pas les révélations de WikiLeaks qui vont améliorer son image. Cravate orange, look d'universitaire, l'ambassadeur Ensher introduit les invités de marque. Les premières questions fusent et le général Carter répond avec un aplomb qui révèle des réponses bien potassées. “L'Algérie a un rôle de leader en organisant cette conférence (…) les Etats-Unis sont déterminés à jouer un rôle dans cette région (…) La communauté internationale est convaincue de la nécessité de faire face à la menace du terrorisme dans la région du Sahel”. Le débit est précis, le ton est clair et les réponses convenues. Dans son plus bel uniforme, ce soldat qui “a 35 ans de carrière”, Ham est aussi carré que l'arrière d'un blindé Sherman. L'assistance tente de l'entraîner sur les sables mouvants de la Libye, sur la composante trouble du CNT, le général ne concède qu'une seule chose : “Il y a une prolifération d'armes telles que les fusils et les explosifs et cela inquiète tout le monde (…) Les USA et la plupart des autres pays ont été très clairs sur le fait que le contrôle des armes est sous l'entière responsabilité du Conseil national de transition”. Voilà pour le seul petit tomahawk envoyé aux rebelles islamistes de Libye. Pour compenser, il ajoutera aussitôt qu'il fallait se débarrasser de Kadhafi et que la “Libye aura un avenir meilleur” sans l'inventeur du tube “Zenga, Zenga”. S'agissant de la mission de l'Africom et de ses prérogatives, le général Ham a prévenu que son pays allait aider les partenaires du Sahel “par des formations”, tout en précisant que son commandement, basé à Stuttgart, à moins de deux heures d'avion d'Alger, n'est pas doté du budget qu'il espère à cause des retombées de la crise économique et financière. En effet, le rôle et les dotations de l'Africom ont été mises en doute par certains élus du Congrès américain qui ne comprennent pas que cette force de frappe militaire dépense ses dollars à former des Africains distraits, construire des cliniques au Sahel, aider au développement des entreprises dans la bande sahélienne, une sorte d'ONG militaire. Il faut avouer que pour les élus américains, il faut qu'il y ait de l'action pour justifier le déploiement militaire onéreux en Afrique. L'Africom a, également, du retard à l'allumage puisque même si elle a saisi que les Africains ne veulent pas de base sur leur sol, les Américains non plus et que le général Ham se contenterait d'une présence physique réduite à la seule base de Djibouti. Il en est ainsi de la crise ivoirienne où les Américains semblaient à la traîne devant la force française Licorne et sont venus sur le tard pour proposer des formations aux forces ivoiriennes, anciennement rebelles, FRC ! sur les… droits de l'Homme ! C'est à ce moment que Shari Villarosa, membre du bureau de coordination antiterroriste du département d'Etat américain et chef de la délégation, vient à la rescousse de l'Africom et prend le relais pour expliquer que sa patronne, Hillary Clinton, voit le Sahel en 3D. Pas en trois dimensions mais avec le concept que la lutte antiterroriste implique “diplomatie-défense-développement”. Un concept qui en vaut un autre, même celui des “pays du champ” (Algérie-Mali-Niger-Mauritanie) inventé par Abdelkader Messahel, maître de cérémonie de la conférence et le “Monsieur Afrique” de l'Algérie. Un concept qui intrigue les journalistes et qui a valu le bon mot de notre excellent confrère d'El Watan de “pays du champ de mines” ! Donc, Mme Shari Villarosa poursuivra en évoquant la coopération avec Alger en insistant sur la matrice antiterroriste qui fédère Washington et Alger. “La coopération entre les deux pays, marquée par un respect mutuel et une amitié concrète, s'améliore de jour en jour. Il est vrai qu'il y a quelquefois des divergences dans les points de vue, mais l'Algérie et les Etats-Unis restent de très bons partenaires”. Voilà pour le satisfecit sécuritaire qui vaut son pesant d'or en cette période de vaches maigres diplomatiques pour Alger qui ne finit pas de compter les coups de boutoir diplomatiques et étatiques depuis qu'on a eu l'idée d'accepter “le regroupement familial”, selon la bonne formule de notre confrère du Quotidien d'Oran, d'une partie du clan Kadhafi. À ce propos, Villarosa renvoie le bébé (pas Safia Kadhafi) avec l'eau du bain. “Les Etats-Unis et l'Algérie ont toujours appuyé la position des Nations unies et il y a eu beaucoup de résolutions qui ont été passées dans ce sens, l'Algérie en est bien consciente”. En d'autres termes, si le Coréen n'a rien dit (dixit Ban Ki-moon), c'est qu'Alger a mis les formes légales pour les recevoir quoiqu'en pensent les excités du CNT. À cet instant, et puisque les 45 minutes furent écoulées, Ensher insistera pour glisser cette remarque sur ce dossier : “Nous avons confiance en la politique étrangère de l'Algérie qui a toujours appuyé et respecté le droit international”. Une phrase adressée directement à Alger et qui confirme que même si Ensher a dû apprendre l'arabe dans la même faculté que Robert Ford, il ne tient pas à fâcher Alger qui, tout le monde le sait, se fâche très facilement. La conférence se clôture sans que le mot Aqmi ne soit prononcé une seule fois. On a seulement parlé de “menace” et chacun lui donne le sens qu'il veut. Pour les Occidentaux, la “menace” immédiate demeure Kadhafi et pour nous autres, “pays du champ”, Aqmi et sa nouvelle filiale libyenne est celle qui nous préoccupe le plus. Et le problème est qu'avec l'implosion libyenne, cela ne fait que commencer.