On l'a quitté triomphant sur les escaliers de la Haute-Cour de justice britannique, après avoir gagné son procès et obtenu des excuses officielles quant aux accusations mensongères sur son implication dans les attentats du 11 septembre 2001. L'ancien pilote algérien, Lotfi Raïssi, devenu un chef d'entreprise, revient au-devant de l'actualité, mais cette fois-ci pour partager avec les lecteurs la sortie de son livre Le 20e kamikaze n'a jamais existé (éditions Jacob-Duvernet) qui retrace cette expérience douloureuse dans les salles d'interrogatoire de Scotland Yard et son séjour en prison qui a failli lui coûter la vie. Un traumatisme humain et judiciaire que Lotfi Raïssi a décidé de solder une fois pour toutes dans ce livre plein d'humanité et de vérités, en poursuivant son combat judiciaire afin que les Etats-Unis admettent, à leur tour, l'erreur judiciaire. Liberté : Le 20e kamikaze n'a jamais existé est un livre choc que vous venez de sortir (aux éditions Jacob-Duvernet), qui retrace votre calvaire humain et judiciaire en Grande-Bretagne, après les accusations mensongères contre vous, à la suite des attentats du 11 septembre. Pourquoi l'idée de ce livre et pourquoi le faire paraître maintenant ? Lotfi Raïssi : Le 20e kamikaze peut certes apparaître comme un livre choc, à l'heure où le monde commémore le triste anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Mais c'est pour moi essentiellement un témoignage littéraire sur tous les dangers liés aux nouvelles manipulations politiques et médiatiques nées du nouvel ordre mondial. Un ouvrage en forme d'antidote et de manifeste. Lorsque nous avons discuté du projet éditorial avec mon éditeur français, Luc Jacob-Duvernet, l'idée-force a bien été de montrer que plus aucun citoyen n'est à l'abri désormais. Est-ce qu'on peut dire que l'écriture de ce livre est une forme de thérapie ou est-ce davantage une manière de partager votre expérience d'un homme qui a été injustement accusé ? Thérapie culturelle ou volonté citoyenne de partage, mon livre répond finalement aux deux préoccupations. Avec en filigrane la volonté extrême qui est la mienne de montrer à mes lecteurs que tout reste toujours possible, même face aux épreuves les plus dures. Votre livre s'est déjà vendu à 10 000 exemplaires en France et sa parution est prévue en Grande-Bretagne en septembre. À quel accueil vous attendez-vous en Angleterre? Le livre doit également sortir en Algérie, qu'espérez-vous que l'opinion publique algérienne apprenne à la lecture de votre récit bouleversant ? Le livre est d'abord paru en France et dans plusieurs pays francophones où il a rencontré immédiatement un très gros succès de librairie. De très nombreux journalistes se sont ainsi fait l'écho de sa sortie. Certains évoquant même la dimension cinématographique du récit. Evidemment, une traduction anglaise est en cours, une publication en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis devant intervenir à court terme. De la même manière, une édition particulière pour l'Algérie sera bientôt disponible grâce à la collaboration engagée entre Jacob-Duvernet à Paris et LR éditions à Alger. Pour moi, il s'agit d'un désir de donner à l'Algérie la primeur du texte définitif de l'ouvrage et aussi de la concrétisation d'un nouveau rêve, à savoir la création en Algérie d'une nouvelle maison d'édition. Car le livre est pour moi une passion. Vous avez été acquitté, lavé de tout soupçon, indemnisé, on s'est excusé, vous avez gagné devant tous les tribunaux, et pourtant un mandat d'arrêt international court toujours à votre sujet. Donc le combat judiciaire n'est pas terminé ? C'est le paradoxe actuel de mon existence. Evidemment, bien que la justice britannique m'ait totalement innocenté, bien que le gouvernement britannique m'ait adressé une lettre officielle d'excuses, bien que les autorités britanniques m'aient indemnisé, je demeure encore et toujours sous le coup d'un invraisemblable mandat d'arrêt international délivré par les services américains en septembre 2001 et sans cesse renouvelé depuis. L'attitude scandaleuse des autorités américaines m'interdit encore aujourd'hui de voyager librement ailleurs qu'en Grande-Bretagne et en Algérie. Alors mon combat judiciaire se poursuit encore, dix années après le début de l'affaire. Inimaginable mais vrai hélas. Quel ressentiment avez-vous envers les Etats-Unis dont les services de renseignement, notamment le FBI, avaient insisté à tort pour votre inculpation ? Quel est votre message aux nouvelles autorités américaines ? On me pose souvent la question de mon ressentiment vis-à-vis des Etats-Unis. Ma réponse est claire : je n'ai pas de problème personnel particulier avec l'Amérique. Mais je dénonce comme victime innocente et innocentée l'attitude invraisemblable des services secrets américains comme l'a fait aussi la justice britannique. Et je nourris l'espoir que les nouvelles autorités politiques américaines, celles de l'administration Obama, mettront fin à l'injustice flagrante et inadmissible dont je suis victime depuis dix ans. Surtout que le président Obama, depuis sa venue, tente de modifier l'image arrogante des Etats-Unis héritée de l'ère Bush, notamment à l'égard des Arabes et des musulmans. D'ailleurs, le sentiment antiaméricain est en recul dans la région. Et comme l'avait si bien dit dans sa citation Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis et le rédacteur d'une partie de la déclaration d'indépendance : “Pour les questions de style, nage avec le courant ; sur les questions de principe, sois solide comme un roc”, j'en ai fait ma devise. Est-ce que vous avez senti que vous avez été suffisamment soutenu en Algérie ? Que pensez-vous de la position officielle algérienne concernant votre dossier ? Est-ce que l'Algérie en tant qu'Etat vous a aidé ? J'ai globalement toujours été soutenu par les autorités politiques algériennes, et ce, au plus haut niveau. Et je compte aujourd'hui encore sur une intervention du gouvernement algérien auprès de son homologue américain afin d'obtenir la levée du mandat d'arrêt international qui me vise sans motif. D'ailleurs, je profite de cette opportunité pour lancer un appel au président de la République, Abdelaziz Bouteflika, pour examiner mon cas et prêter assistance à un Algérien injustement accusé depuis 10 ans. De la même manière, je me suis toujours senti fortement soutenu par le peuple algérien qui n'accepte pas que l'un des siens soit utilisé comme bouc émissaire. Je suis fier de ma citoyenneté algérienne. Je le sens, je le dis et je l'écris. On approche de la dixième commémoration du 11 septembre 2001. Comment voyez-vous cet événement avec du recul ? Le dixième anniversaire du 11 septembre n'est une date anodine pour personne. Pour moi encore moins, bien sûr. Mais je vois surtout dans cette date le symbole de la résistance des peuples contre le terrorisme et l'injustice. Lors du 11 septembre, on dénombrait 90 nationalités différentes parmi les victimes, c'est vous dire que le peuple américain a été ciblé mais également tout le monde. Concernant la résistance, il faut admettre que le peuple algérien, avec son gouvernement et son armée, aura mis en lumière plus qu'aucun autre cette notion ainsi que celle du sacrifice bien avant beaucoup de nations. Quel est le message qu'on peut adresser aux jeunes Algériens dont beaucoup ont eu le rêve brisé par un destin tragique et à ceux qui ont combattu les injustices ? On m'interpelle de plus en plus en évoquant le message que je pourrai adresser à la jeunesse. Moi, le jeune homme un jour victime d'un incroyable complot, je leur adresse plutôt une idée, celle qui dit que tout est toujours possible à la condition d'y croire. À la condition de ne jamais baisser les bras, de ne jamais renoncer. Je ne suis qu'un simple citoyen algérien. Et le simple citoyen que je suis est parvenu à triompher du plus absurde des complots. Ce combat, je le poursuis comme une mission. Celle de montrer la voie à suivre pour que tout demeure possible. Quoi que puissent en penser les ex-puissances coloniales, quoi que puissent en dire les néocoloniaux qui prétendent ériger un nouvel ordre mondial en niant nos identités et notre liberté.