La cour a approuvé sa demande de dommages et d'excuses du gouvernement britannique. Le poing en l'air et le sourire victorieux, Lotfi Raïssi a quitté le tribunal, jeudi dernier à Londres, en homme heureux d'avoir réhabilité sa réputation et prouvé le caractère abusif de son arrestation et de son incarcération en tant que terroriste par les services de sécurité britanniques. “Je suis content d'avoir été disculpé”, a-t-il déclaré très ému aux nombreux journalistes qui l'entouraient. Le pilote instructeur algérien avait été arrêté une dizaine de jours après les attentats du 11 septembre 2001, sur demande de Washington, en perspective de son extradition vers les Etats-Unis. Il avait été interpellé à son domicile à l'ouest de Londres par les forces spéciales sur la base de vagues allégations laissant penser qu'il aurait entraîné certains des pilotes kamikazes. Son séjour dans la prison de haute sécurité de Belmarch a duré cinq mois sans que le moindre élément à charge, confirmant son implication dans les attaques, ait été apporté. “Les autorités britanniques m'ont gardé en prison afin de donner le temps aux services de sécurité américains de trouver des preuves”, a-t-il expliqué. La célérité des services britanniques à donner suite à la demande d'arrestation de leurs collègues américains lui inspire des commentaires acerbes. “Aujourd'hui, je me pose des questions sur la souveraineté britannique”, a-t-il épilogué sur le plateau du JT de Channel 4, où il a été invité jeudi soir en compagnie de son avocat. Pour rappel, la procédure d'extradition a dû être abandonnée le 24 avril 2002 lorsque la justice britannique a estimé que Washington n'avait pas fourni assez de preuves contre le jeune homme. Hier matin sur la BBC, M. Raïssi est revenu sur les circonstances de son interpellation, les qualifiant de “kidnapping”. Selon lui, les soupçons exprimés à son égard tenaient compte uniquement de son profil. Il est Algérien, musulman et pilote. En somme, une cible et un coupable idéaux. Devant la cour, son avocat a évoqué une procédure judiciaire bâclée et mis en exergue sa détention abusive. Le juge lui-même a relevé de “graves lacunes” dans la conduite de toute l'affaire par la police, les services de renseignements et le ministère de l'Intérieur. À ce titre, le tribunal a approuvé la demande de dommages et d'excuses exprimée par Lotfi Raïssi. Selon des sources proches du dossier, le montant des indemnités pourrait se chiffrer à des millions de livres. “Ce n'est pas une question d'argent mais de principe”, observe le pilote algérien de 33 ans. À ses yeux, les dommages sont une compensation pour sa vie et sa carrière “détruites” et pour “la réputation ternie de sa famille”. M. Raïssi décrit les six dernières années comme une bataille continue et acharnée pour faire valoir ses droits. Cette période, dit-il, était ponctuée de moments de désespoir, de solitude et d'incompréhension. Aussitôt après son incarcération, la presse britannique s'est emparée de l'affaire. Relayant les “certitudes” du Home Office, elle l'a présenté à l'opinion comme un terroriste avéré et dangereux. “Ma famille a combattu le terrorisme en Algérie pendant plus d'une décennie. J'ai toujours abhorré les terroristes”, devait-il encore s'expliquer hier à la télévision. Lotfi Raïssi s'est présenté au tribunal accompagné de son épouse et de ses parents. À l'issue du procès, le ministère de l'Intérieur britannique a rendu public un communiqué laissant entendre qu'il pourrait faire appel de la décision de justice, l'ordonnant à verser des dommages au pilote algérien et à lui faire des excuses. Le tribunal lui a fixé une période de 14 jours pour faire appel. Dans le cas où sa requête serait rejetée, le département de Jacquie Smith devra s'exécuter. En cela, l'affaire Raïssi a toutes les chances d'être inscrite dans les annales judiciaires britanniques. Il y a trois jours, le Home Office recevait un premier camouflet, suite à l'acquittement d'un groupe de présumés activistes islamistes contre lesquels aucune preuve compromettante n'a été fournie. S. L.-K.