Le timing des accusations lancées par l'avocat conseiller de l'ombre pour l'Afrique de la présidence française contre un potentiel candidat à l'Elysée soulève beaucoup d'interrogations, d'autant plus que l'auteur affirme qu'il ne possède pas de preuves. À quel dessein obéit cette sortie médiatique de l'avocat Robert Bourgi, qui a détaillé hier ses accusations contre Jacques Chirac et Dominique De Villepin, en en affirmant leur avoir donné 20 millions de dollars et des cadeaux de chefs d'Etat africains ? On ne peut que s'interroger sur l'objectif de cette sortie médiatique, d'autant plus que son auteur a assuré hier n'avoir “aucune preuve” des accusations de financement occulte africain qu'il a lancées la veille dans le Journal du dimanche. “Je n'ai aucune preuve, dans ce domaine-là, il n'y a aucune preuve, aucune trace”, a fait valoir M. Bourgi sur la radio française Europe 1, avant d'ajouter : “J'ai agi en mon nom personnel, personne ne m'a dicté cette interview.” Chercherait-il à soulager sa conscience, lui qui dit avoir assisté à “trop de choses ignobles” et vouloir “une France propre”, ou fait-il partie d'une machination destinée à déstabiliser des candidats à l'élection présidentielle de mai 2012 ? Cette affaire pourrait également embarrasser Nicolas Sarkozy, censé en être le grand bénéficiaire, parce que lui impliqué dans le dossier par une déclaration de l'ancien conseiller Afrique de M. Chirac, Michel de Bonnecorse à Pierre Péan, un journaliste d'investigation qui publie ces jours-ci un livre sur le sujet. Ce dernier affirme que Robert Bourgi a déposé une mallette d'argent “aux pieds” de Nicolas Sarkozy. Dans ses déclarations hier, Robert Bourgi a dit avoir assisté Jacques Foccart, conseiller historique du général de Gaulle pour l'Afrique, dans ce “côté obscur de la Françafrique jusqu'à son départ en 1997”. “Et de 1997 à 2005, j'ai géré moi-même ce côté obscur de la Françafrique.” Allant plus loin dans ses accusations, il soulignera que le système de financement politique occulte par des chefs d'Etat africains a existé sous les présidences de Georges Pompidou, Valery Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, soit sous les mandats de 4 des 6 présidents de la Ve République née en 1958. En somme, tous les dirigeants politiques français, depuis Charles de Gaulle, ont trempé dans ce scandale. Détaillant ses accusations, Robert Bourgi précise qu'outre des mallettes de billets, il avait transporté des “cadeaux” de chefs d'Etat africains destinés à MM. Chirac et Villepin. “Je me souviens d'un bâton de maréchal d'Empire qui avait été offert par Mobutu”, défunt président zaïrois, et d'une montre “offerte par Bongo” à Chirac “qui devait réunir environ 200 diamants”. Il a impliqué des chefs d'Etat africains, encore en exercice ou partis du pouvoir, en l'occurrence Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon), qui ont versé environ 10 millions de dollars “pour la campagne de réélection de Jacques Chirac en 2002”. Pour rappel, Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont annoncé chacun qu'ils déposeraient plainte contre l'avocat pour diffamation. Profitant de l'aubaine, l'opposition, qui s'apprête à choisir son candidat pour la présidentielle d'avril et mai prochains, a dénoncé un scandale. L'ancien Premier ministre Laurent Fabius a estimé que “si ces faits sont avérés, c'est l'un des plus grands scandales de la droite depuis des décennies”, tandis que Manuel Valls, candidat à la primaire socialiste pour 2012, a réclamé une “commission parlementaire”. Ceci étant, la “Françafrique” est l'expression utilisée pour dénoncer un système de cooptation politique, réseaux occultes et chasses gardées commerciales mis sur pied après l'indépendance des colonies d'Afrique noire par Jacques Foccart. En pleine guerre froide, l'objectif était de contrôler les dirigeants de ces pays, riches de matières premières vitales pour la France, en tout premier lieu le pétrole. Que promettait la France à ces chefs d'Etat africains en échange de cet argent ? “Mensonges, mensonges, mensonges, promesses non tenues, c'est-à-dire que la France fermait les yeux sur certaines dérives du pouvoir en Afrique”, a accusé Bourgi. Mais, en ajoutant qu'“aujourd'hui, le président Sarkozy, aidé du ministre Juppé, avec lequel je n'ai pas des relations exquises mais à qui je dois rendre hommage, veulent des régimes sains, acceptés par le peuple”, il montrera clairement à quel camp il appartient, et fait planer des doutes saur la sincérité de sa démarche.