Il était 10h hier et la ville de Fréha était quasiment inaccessible via la route principale. Sur la RN12, une foule composée essentiellement de jeunes adolescents avançait en mettant chaque 200 mètres le feu à des pneus tirés des abords de la route puis aspergés d'essence. La colère se lisait sur tous les visages croisés sur cette route. Plus vive encore est celle qui a gagné les visages retrouvés au centre de Fréha, où régnait hier encore une ambiance électrique. Après un long détour par une route secondaire poussiéreuse mais largement préférable à l'odeur et la dense fumée dégagée par les pneus en flammes sur la RN12, l'on gagne enfin, à 11h, le centre-ville de Fréha. Aucun magasin n'a levé rideau. Seul un libraire écoulait ses derniers exemplaires de journaux devant son magasin fermé. Une foule compacte est présente sur la place principale de la ville. Les traits tirés, les habitants attendent. Une marche était prévue dans la matinée, mais l'organisation fait visiblement défaut. Toutes les discussions portent toujours sur le drame de dimanche soir. “Le drame ne touche pas seulement la famille Kaci, mais le tout-Fréha, personne n'est à l'abri d'une sauvagerie pareille”, fulmine un homme, la cinquantaine. Son compagnon rétorque, voix élevée, s'adressant à tout un groupe de gens en même temps : “Qu'ils partent ! Nous ne voulons pas d'une caserne de parachutistes en plein milieu d'habitations. Si c'est contre le terrorisme qu'ils veulent lutter, qu'ils s'installent aux abords des maquis, mais ici, c'est nous qu'ils tuent, nous voulons le départ de la caserne.” Deux hélicoptères bariolés de l'ANP survolent Fréha à très basse altitude. Tout le monde les suit du regard. L'on voit jusqu'aux roquettes dont ils sont équipés. Ils atterrissent dans l'enceinte de la caserne puis redécollent l'un derrière l'autre. Les spéculations vont bon train. La marche n'aura finalement pas lieu en l'absence de la famille concernée. Un cousin de la victime se propose de nous conduire au domicile familial des Kaci. Devant l'entrée principale de la caserne, des parachutistes, des policiers en faction réglementent la circulation. Des traces de pneus brûlés sont toujours visibles par terre. La veille, après l'enterrement de la victime de la bavure militaire, Kaci Zahia, les habitants de Fréha en colère avaient assiégé, jusqu'à une heure tardive de la soirée, la caserne qu'ils ont prise d'assaut à coups de pierres et autres projectiles. Les militaires n'avaient pas réagi, nous précise-t-on sur place. Derrière la caserne, les traces de sang de Zahia étaient toujours visibles, bien qu'une main invisible ait visiblement tenté de les dissimuler à l'aide de la terre. De cet endroit précis, l'on aperçoit, sur une distance d'environ 80 à 100 mètres, les quatre postes de surveillance de la caserne et aussi tout le chemin emprunté par les trois femmes qui ont fait l'objet des tirs de rafales. Ce chemin étant oblique par rapport à la clôture de la caserne, la quatrième guérite d'où aurait été tirée la multitude de rafales était la plus loin par rapport à l'endroit où se trouvaient les victimes. Plus loin encore, à environ 200 mètres de la caserne, un mur d'une vieille et inhabitée bâtisse garde des impacts de balles. “Les militaires ont poursuivi les deux rescapées jusqu'ici”, témoignent les habitants. Une dizaine de mètres encore plus bas, se trouvent les modestes habitations des Kaci. “Ouardia et Baya sont absentes, elles étaient convoquées ce matin pour les besoins de l'enquête”, nous informe leur jeune cousin qui ne s'empêche pas de raconter ce qu'il avait, lui aussi, vécu la nuit du dimanche. “J'étais au centre-ville lorsqu'on m'avait appelé pour me parler du drame, et en arrivant ici devant la maison, je trouve plus d'une dizaine de militaires qui quadrillaient toute cette zone. J'ai essayé de m'informer auprès d'eux et c'était là qu'un d'entre eux m'assène un coup de crosse avec son arme sur ma poitrine”, témoigne-t-il.