À La cité Les Plateaux, la situation a de nouveau dégénéré, hier après-midi, aux abords du cimetière, au moment de l'enterrement du jeune Ahmed A. décédé la veille après avoir été atteint d'une balle à la poitrine. Au lendemain des émeutes qui ont éclaté ce lundi au quartier dit les plateaux à Arzew, durant lesquelles un jeune homme A. Ahmed, âgé de 23 ans, est décédé après avoir été atteint par balle tirée par un policier, la situation demeure vive et tendue comme nous avons pu le constater hier sur place. Aux abords de la cité les forces de police, notamment les forces anti-émeutes, se veulent discrètes tandis qu'à l'intérieur de la même cité, qui compte quelque 2 500 logements, les traces des affrontements de la veille sont encore visibles. Reste de pneus incendiés qui fumaient encore à notre arrivée, gravas et tôles en fer jonchant la cité. Des barricades dressées bloquent plusieurs ruelles. Quelques baraques, objet de l'explosion de la violence, sont encore debout, mais la plupart ont été démolies. Sur le bitume, des débris de glaces de voitures sont visibles en plusieurs endroits attestant de la violence des affrontements et des dégâts de la vielle qui ont fait de très nombreux blessés chez les manifestants et une douzaine chez les policiers. L'entrée du bloc où vit la famille du jeune Ahmed est envahie par les femmes venues de toute part adresser leurs condoléances à la mère effondrée dans un état proche de l'évanouissement. Elle ne cesse de répéter : “ils m'ont pris mon fils...” Toutes les femmes, mères présentes, ont le visage marqué par l'angoisse et la douleur. Elles nous crient alors leur colère face à la brutalité de l'intervention des forces de police. Beaucoup parmi elles ont un fils ou même deux qui ont été arrêtés et se trouvent au commissariat : “dites-le, vous les journalistes, ils ont tiré sur nos enfants à balle réelle... des tirs tendus à bout portant... c'est comme cela qu'ils ont tué le jeune Ahmed...” D'autres, au bord de l'hystérie, crient le nom du policier qui aurait tiré sur le jeune homme “il la visé alors que lui était venu justement enlever sa propre baraque pour pas qu'on la lui casse...” Les témoignages fusent de partout : “Ils ont tiré des bombes lacrymogènes dans les bâtiments et les appartements, poursuivant les manifestants à l'intérieur des blocs, ils ont même frappé des enfants qui sortaient de l'école... une femme enceinte, qui voulait empêcher les policiers d'emmener son frère alors qu'il se trouvait chez lui, a été battue...” nous racontent des jeunes avec le visage dur, les traits tirés. Plus tard, l'un des amis du jeune Ahmed, les yeux rouges, nous dira que son copain, avant d'être abattu, avait empêché des gars de s'en prendre à un policier !... À la cité Les plateaux partout autour de nous, des témoins nous relatent le même récit des affrontements violents et de la répression qui s'en est suivie. Puis d'un coup, une folle rumeur envahit toute la cité et met en émoi tous les habitants, deux jeunes seraient décédés au commissariat ! c'est la première flamme qui remet le feu au poudre, les femmes en pleurs, hurlant, se frappant le visage, se mettent à courir dans tous les sens, puis des voix féminines fusent “houkouma hagara !... houkouma hagara !... chaâb debout !... haya au commissariat...” Des dizaines de femmes avec des jeunes enfants se dirigent vers le commissariat qui se trouve en plein centre-ville. une véritable descente de ces femmes en colère, folles de douleur et qui ont toutes peur pour leurs fils incarcérés. Les hommes ne sont pas là pour la plupart, ils se sont rendus au cimetière pour les obsèques de la victime. À cet instant, il est 13h30, les autorités ont directement transféré la dépouille de l'hôpital vers le cimetière et ce qui était craint par les services de police arriva : des affrontements éclatent aux abords du cimetière. Des témoins nous disent que les véhicules des officiels sont pris pour cible par une pluie de jets de pierres, ils finiront par quitter les lieux. Un policier pris à partie est battu, roué de coups par des jeunes en furie. À cet instant, la situation semble dégénérée, des dizaines de manifestants, tous très jeunes, descendent du cimetière, bien décidés à en découdre avec les policiers en direction de l'APC, du siège de la daïra et du commissariat central. Sur leur chemin et précisément au quartier dit Guetna, ils arrachent des poteaux électriques pour obstruer les ruelles. Les forces anti-émeutes sont positionnées pour leur barrer la route, les bombes lacrymogènes fusent au milieu des manifestants qui fuient. Pratiquement au même moment, au commissariat où nous nous sommes rendus, nous trouvons des policiers aux visages tendus. Le commissaire sort de son véhicule avec la lunette arrière éclatée. Un officier sur les marches du commissariat demande du renfort par talkie-walki. Plusieurs véhicules de police sont regroupés autour du commissariat où se trouve en garde à vue une quarantaine de manifestants. Immédiatement des agents nous démentent la rumeur : “Il n'y a eu aucun décès au commissariat, c'est faux, personne n'est mort… la mère du gars est venue, nous lui avons montré son fils qui va bien… ils veulent à nouveau provoquer les affrontements…” nous disent-ils. Il est 15h30 et le centre-ville d'Arzew est alors bloqué par les manifestants et les forces de police. Des voitures de simples citoyens font demi-tour. Ils tenteront de rentrer chez eux en empruntant d'autres itinéraires. Le matin, le P/APC d'Arzew nous avait déclaré qu'il souhaitait un retour au calme déplorant la mort d'un jeune homme, un dérapage nous dira-t-il en substance. À l'heure où nous mettons sous presse, le calme n'était pas encore complètement revenu à Arzew. F. Boumediene