Dans cet entretien, ce spécialiste en finances aborde l'utilisation à bon escient des réserves en devises de l'Algérie. Liberté : Crise financière qui se profile, crise de la dette : quel pourrait en être impact sur l'Algérie ? Dr Nasser Bouyahiaoui : Toute rise économique et financière mondiale possède un impact sur l'Algérie. Reste à connaître l'ampleur de cet impact. Notre économie dépend des hydrocarbures essentiellement, on devrait plutôt tenter de savoir si l'Algérie risque d'être touchée moyennement, faiblement ou alors durement. On sera touchée par cette crise, au moins de manière indirecte, pour les chocs en retour. On aurait été touché plus durement si on avait été très actif sur le marché des capitaux, à cause du ralentissement des activités économiques mondiales et une probable récession : avec baisse de la demande en énergie (gaz et pétrole), baisse des prix des hydrocarbures et de la valeur du dollar US. On sera également touchés par la baisse des taux d'intérêt concernant nos dépôts en bons du Trésor américains. L'inflation touchant en parallèle tous les produits alimentaires, pharmaceutiques, etc., sera aggravée par la baisse du pouvoir d'achat du dollar américain. Avec les menaces de récession, il faudra craindre une baisse des IDE, soutenue par le système du 51/49% qui a déjà rebuté pas mal d'investisseurs potentiels déjà fâchés par la taxation des dividendes réalisés par les sociétés étrangères en Algérie. Pour rappel, l'affaire Djezzy a provoqué énormément de dégâts, après avoir été sortie du seul jeu économique et politisée. Du coup, le climat des affaires a été sérieusement ébranlé avec perte de confiance à la suite de cette série de décisions négatives qui a fait fuir des investisseurs potentiels. Vous dressez un tableau apocalyptique de l'avenir du pays en cas de crise économique grave, mais comment pourrions-nous lutter contre les effets néfastes de cette crise ? L'endettement des pays européens ne concerne pas l'Algérie, pour au moins deux raisons. La première est que l'Algérie avec ses réserves de change a pris des précautions en remboursant anticipativement ses dettes. De plus, les pouvoirs publics ont pris la décision de ne pas recourir au marché international des capitaux pour des emprunts. Reste le problème de la dette interne, la dette souveraine. Une chance que le dinar algérien ne soit pas convertible, sinon les conséquences auraient été désastreuses eu égard au déficit public. Par ailleurs, il faut signaler plusieurs hérésies : le fait que la Banque d'Algérie ne soit pas indépendante, qu'elle ne contrôle pas réellement la cotation du dinar qui est coté administrativement (marché interbancaire), que le FRR (Fonds de régulation de recettes en hydrocarbures) n'est, au fond, qu'une espèce de caisse noire gérée de manière peu transparente et qui échappe totalement au contrôle du Parlement. Par ailleurs, avec une loi de finances qui a été longtemps évaluée sur la base d'un baril à 19$US, est passée à 35$, alors que le prix du baril frôlait les 150$, oblige à se demander où va la différence. Signalons que les lois de finances de ces dernières années ont toutes été redressées par une loi des finances complémentaire : le déficit de départ de la loi de finances se trouvant aggravé par la LFC : sur les 286 milliards $ du programme quinquennal 2009-2014, 135 milliards, soit près de la moitié de l'enveloppe budgétaire, sont réservés aux “restes à réaliser” des programmes précédents ! Signalons au passage que dans le monde entier on en est à la phase de mise en place de stricts plans de “rigueur budgétaire”, alors qu'en Algérie, on continue à aggraver le déficit public, sans compter le gaspillage et les dépenses dirigées vers les subventions non génératrices de richesses : subventions de produits alimentaires de base, pour la création d'emplois, l'Ansej, le micro-crédit, le logement, etc. La seule CNL aura bénéficié de plus de 150 milliards de DA en 2011, alors que la création d'emplois a obtenu 300 milliards de DA, le soutien aux produits alimentaires 300 milliards de DA. Il y a même risque de dépassement de 1000 Mds de DA de subventions, sans compter les crédits bonifiés à 1%. Le gouvernement, sous la pression des émeutes, avait même promis aux jeunes des crédits de 1 million de DA sans intérêts destinés à la location de locaux commerciaux, ce qui a augmenté automatiquement le prix de la location des locaux commerciaux ! Tout cela sans la moindre création de richesse, puisqu'il s'agit d'activités strictement commerciales. Ajoutons à cela l'endettement perpétuel des entreprises publiques et privées en difficulté incapables de rembourser leurs dettes, l'endettement des ménages et on aura un tableau exhaustif de l'état des lieux. L'Algérie semble frileuse dans ses placements, comment l'expliquez vous ? Déjà, au cours des années 1980, je suivais l'évolution des fonds souverains, notamment koweitiens, libyens, ou d'autres pays du Golfe, puis, à partir de 1996, les fonds souverains norvégiens devenus les plus actifs et peut-être les plus importants de par le monde, en dépassant les 500 Mds $US. J'ai pu constater que les Norvégiens avaient commencé avec une mise de 10 Mds $, en 1996. Ce fonds souverain avait été créé pour garantir l'avenir des générations futures et réduire la vulnérabilité de la Norvège face aux aléas économiques et financiers du monde. En 2008, il y a trois ans, au moment de l'effondrement des prix du pétrole, j'avais suggéré d'utiliser à bon escient ces capitaux dormants pour créer des fonds souverains et ainsi pouvoir réaliser des placements stratégiques à moyen et long termes, et non point de spéculer à court terme, en investissant et non pas en jouant aux traders ! J'avais suggéré d'aller faire son marché du côté de l'industrie automobile qui représente le moteur de l'économie mondiale actuellement. À titre indicatif, en septembre/octobre 2008, l'action Ford valait 1 dollar US. Moins de 12 mois plus tard, elle avait dépassé les 12 dollars ! J'avais suggéré cela en envisageant de faire venir Ford en Algérie, une fois qu'on aurait acheté une part de son capital. Au lieu de cela on continue de supplier Renault de venir s'installer en Algérie alors qu'il persiste à se faire tirer l'oreille tout en investissant au Maroc ! J'avais, à l'époque (août septembre 2008), suggéré la création de 4 fonds souverains. D. Z. *Enseigne la finance à l'université de Tizi Ouzou, analyste financier aux états-Unis