“Aujourd'hui, il a appris et compris que ce n'était pas compatible avec son avenir politique.” Recep Tayyip Erdogan, le président du parti de la Justice et du Développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) vainqueur des récentes élections législatives en Turquie, est un ancien islamiste, converti aux valeurs démocratiques, assurent d'anciens proches et collaborateurs. “Il fut un islamiste dur, qui voulait instaurer un Etat religieux, et il a conservé cette idée jusqu'à son séjour à la tête de la mairie d'lstanbul”, affirme Mehmet Metiner, journaliste qui le connaît depuis la fin des années 1970 et qui fut un de ses conseillers jusqu'à l'an dernier. “Aujourd'hui, son cœur et sa pratique de la religion n'ont pas changé, sa vie privée reste fondée sur l'lslam, mais c'est son comportement en politique qui est différent”, estime-t-il. “À une époque, il ne serrait pas les mains des femmes, ne s'asseyait pas à une table où des hôtes buvaient de l'alcool, n'acceptait pas que l'on fume dans la pièce où il se trouvait”, raconte l'ancienne députée Nazli llicak, qui milite à l'AKP. Elle insiste, à l'instar de M. Metiner, sur la capacité d'écoute de Tayyip Erdogan, 48 ans, qui s'est forgé une réputation politique en tant que maire d'lstanbul, la plus grande ville du pays, avant sa mise à l'index par les autorités laïques. Condamné pour “incitation à la haine religieuse” pour avoir récité un poème lors d'un rassemblement politique, il a purgé quatre mois de prison en 1999, ce qui lui a valu d'être déclaré inéligible aux dernières élections législatives du 3 novembre. Il ne peut en conséquence être nommé Premier ministre. “Dans nos discussions, je lui expliquais qu'il fallait se prononcer pour la séparation de la religion et de l'Etat, qu'il fallait se prononcer pour la suprématie de l'idée de l'Etat de droit. Sur le coup, il écoutait de manière sceptique, puis, quelques jours après, je l'ai entendu faire ce plaidoyer à la télévision”, raconte Mme llicak. “C'était un islamiste convaincu, une idéologie qu'il a abandonnée il y a plus de cinq ans pour se convertir à la démocratie”, selon Rusen Cakir, journaliste spécialisé dans les mouvements islamistes, auteur du livre Erdogan : I'histoire d'une transformation, publié en 2001. Tous les avis convergent sur le fait que le déclic s'est produit en février 1997, un épisode politique qualifié de “coup d'Etat post-moderne” lorsque l'armée a lancé une campagne pour se débarrasser du Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, acculé à la démission quatre mois plus tard. “À ce moment, il a compris que même élu avec 90% de suffrages, les militaires ne le laisseraient jamais changer la société, et de là il est entré en opposition avec M. Erbakan sur les changements à apporter au mouvement”, selon M. Metiner. “Il sait qu'il ne peut pas islamiser la société par la force”, dit Rusen Cakir, “il ne veut pas changer la société par le haut comme l'a fait la République dans le sens de la laïcité”, renchérit Nazli llicak. Mme llicak souligne qu'en fondant le parti, Tayyip Erdogan avait donné pour consigne de ne jamais faire référence à la religion musulmane, ce qui incite ses critiques à l'accuser d'hypocrisie et d'assurer qu'il cache son jeu pour atteindre son véritable but.