Neuf mois après la fuite de Ben Ali, la Tunisie ne risque-t-elle pas de retomber ans une autre dictature, celle-là islamiste ? À la veille de la campagne pour les élections de la Constituante en Tunisie, le parti de Ghannouchi est en tête de tous les pronostics. Le parti islamiste qui jure avoir revu son idéologie pour la mettre en conformité avec les exigences des temps nouveaux, fait même état de modestie. “Nous ne voulons pas être les seuls au pouvoir”. Ennahda doit encore convaincre tout un pan de la société tunisienne qui a vécu sous dictature mais à l'abri e l'islamisme. Les acteurs du printemps de Tunis n'ont rien à voir avec les islamistes ni même le courant conservateur. Ennahda a pris le train de la révolution en marche et ses éléments ne sont sortis des bois que lorsque la chute de Ben Ali ne faisait plus de doute. Ghannouchi, qui sait se jouer des mots comme tous les tribuns islamistes et en bon prospectiviste n'a pas cherché à effaroucher les Tunisiens laïcs. Bon pédagogue, le leader islamiste qui vécu en exil à Londres, a mis à profit la visite du Premier ministre turc à Tunis pour affirmer que l'ambition de sa formation est de ressembler au parti de celui-ci au pouvoir depuis une décennie. L'AKP a effectivement fini par devenir un parti démocratique conservateur mais ce qu'oublie Ghannouchi, c'est que l'islamisme turc a été dilué sous les coups de boutoirs d‘une armée garante de la laïcité et surtout par le fait que le kémalisme est séculaire ans le pays. Ennahda, qui remercie la révolution de lui avoir donné la chance d'exister au grand jour, assure pour le moment que “ce n'est pas confortable de gouverner après une révolution”. Ghannouchi, qui ne fait pas dans la précipitation comme ses pairs du Maghreb, est conscient qu'il se mettra ans une situation difficile s'il lui prenait envie de réaliser son rêve d'instaurer une république islamiste. Il sait et l'a dit à plusieurs reprises, qu'il a profité du printemps arabe et qu'il le doit au peuple tunisien lequel serait plutôt favorable à la nouvelle Tunisie dans un esprit de consensus. Pour autant, la Tunisie post-Ben Ali foisonne de partis politiques, ce qui ne rend pas la Constituante facile. Les tenants de l'ancien régime peuvent encore mettre leur grain de sel, d'autant que leur capacité de nuisance demeure intacte. Cent cinq partis politiques sont actuellement inscrits en Tunisie, conséquence directe de nombreuses années de censure. À la question de savoir ce qui distingue Ennahda dans ce patchwork, c'est surtout son idéologie. Le parti de Ghannouchi se définit de tendance culturelle arabo-musulmane modérée et affirme se distinguer des partis islamistes pur jus et des partis laïcs. Ghannouchi a abandonné sa marque déposée pour adopter la posture d'Erdogan qui semble réussir dans l'établissement d'un lien souple entre le religieux et le politique. Il raffermira la Tunisie “dans son monde oriental et arabo-musulman” mais laissera sa porte ouverte sur le monde occidental et sur toutes les autres cultures. Convictions ou propos de campagne électorale ? Les dirigeants d'Ennahda, ceux qui sont chargés de s'exprimer publiquement évitent les sujets controversés et inquiétants quant aux changements que le parti islamique prévoit dans la société tunisienne, si son parti obtenait la majorité. Rien sur le vêtement, le tchador ou le Ramadhan, tout est axé sur l'éradication de la corruption, le droit à l'emploi pour les Tunisiens…Des thèmes qui ont alimenté la révolution du Jasmin. “Tout le monde est libre de choisir sa religion, l'Etat n'interviendra pas dans les choix de chacun. Tout le monde pourra choisir tel ou tel autre vêtement, ce n'est pas à l'Etat de décider du goût des autres”, assure Ghannouchi. Ses lieutenants le complètent en soulignant qu'il ne faut pas dépasser certaines limites ! Toute la question est justement dans ces limites. Pour les observateurs, en Tunisie et à l'étranger, Ennahda aura des difficultés à concilier son programme idéologique avec un pays de touristes et dans lequel vivent des communautés juives et chrétiennes. L'islamisme ne pourra pas enfermer la Tunisie, sauf s'il opérait une nouvelle révolution. Les féministes de Tunisie sont en alerte, elles ne prennent pas pour argent comptant les promesses d'Ennahda. Le parti, accusé de mimétisme avec l'ex-RCD, le parti de Ben Ali, sur son programme économique qu'il a présenté le 14 septembre au Palais des congrès de Tunis, répond qu'il a des limites, qu'il ne peut pas résoudre tous les problèmes. Tout compte fait, il ne reste à Ennaha que l'idéologie. C'est la spécialité de l'islamisme.