Le batteur qui travaille sur un nouveau disque — très différent des trois précédents — revient, dans cet entretien, sur la préparation de cet opus et livre sa conception de la fusion. Liberté : Vous préparez un nouvel album, plutôt jazz. Pourriez-vous nous en parler ? Karim Ziad : C'est un album que j'ai toujours voulu faire et que je n'ai jamais osé sortir, parce que je pensais un peu aux auditeurs qui aimaient m'écouter dans la fusion des musiques maghrébine et actuelle. Quelque part, je prends un risque, car l'album ne sera pas du tout dans l'esprit dans lequel on me connaît. Mais je fais ce disque — qui sera dans la couleur que j'ai toujours voulue — pour moi et non pour plaire. Vous dites que c'est un risque, dans quel sens ? C'est un risque par rapport aux gens qui aiment vraiment ma musique. Dans mes précédents albums, il y avait toujours du chant (j'avais invité Abdelkebir Merchane, Hamid El-Kasri, etc.), et dans ce disque, il n'y aura pas de fusion gnawa. En même temps, lorsque je dis jazz, ce n'est pas le jazz tel qu'on le connaît, car faire du jazz américain ou des choses qui ont déjà — et très bien — été faites ne me sert à rien. Ce sera un peu dans l'esprit Bozilo (1). Il y aura, par ailleurs, de très bons musiciens, tels Tigran Hamasayan, Bojan Z., Linley Marthes, Hadrien Ferro, Michel Alibo, Nguyên Lê… En plus du jazz, vous êtes également passionné par la musique gnaoua. Comment cette passion est-elle née ? J'avais quatre ans et je me rappelle avoir ressenti une forte émotion en voyant les gnawa, dans la cour de ma grand-mère, à Belcourt. A partir de cet instant, j'ai aimé cette musique. Plus tard, je l'ai aimée parce qu'elle a une terminologie africaine et qu'elle est très balèze rythmiquement. Je ne la pratique pas comme un gnaoui, mais comme un musicien. Je l'ai intégrée à mon monde. Si on écoute bien Yobadi (2), ce n'est pas vraiment de la musique gnaoua, c'est une nouvelle musique ; c'est de la fusion. La fusion, pour moi, ce n'est pas, par exemple, de plaquer un rythme de salsa sur un chant gnaoui. Ce n'est surtout pas ça… Qu'est-ce que la fusion, alors, pour vous ? La fusion, c'est de faire deux=un, et non pas deux collé. Une belle fusion réussie, c'est comme un enfant entre un couple. L'enfant est une fusion. Le travail harmonique me permet de réaliser une fusion, de raconter une histoire harmonique, en interaction avec la mélodie. Dans Yobadi, j'ai pensé chaque morceau et j'ai essayé de raconter une histoire harmonique. Car pour moi, une fusion est réussie lorsqu'elle arrive à donner une nouvelle entité, mais dans la plupart des cas elle n'y arrive pas. Quant aux fusions que je ne peux pas écouter, ce sont celles où je sens que deux mondes essaient de se coller. Je ne peux pas écouter des choses qui ne sont pas trop pensées. Je ne veux pas médire, mais j'ai écouté pas mal de choses, et on dirait que certains ont besoin de vite vendre et de vite être connus. Je n'ai pas l'impression qu'on prenne le temps de travailler et de penser vraiment à ce dont on a envie. C'est peut-être parce que cette musique a trouvé un écho international ? Cette musique demeure encore méconnue du monde entier. Ce n'est pas le reggae ou le raï. D'ailleurs, le raï est beaucoup plus médiatisé et populaire. Elle est très connue en Algérie, au Maroc, en France, un peu en Espagne, mais je ne pense pas qu'elle soit internationalement connue. Elle est connue par des gens curieux. Il faut dire aussi qu'on a longtemps caché cette musique, et maintenant lorsqu'elle sort, elle s'adresse à des gens qui ont quelque chose à voir avec elle. Elle n'est pas encore rentrée dans les maisons du monde. Mais en tout cas, ça ne m'intéresse pas de l'emmener là où est le raï. Je ne suis pas du tout ce genre de musicien qui fait les choses pour gagner de l'argent, pour être connu ou pour suivre une mode. J'ai toujours fait ce que j'avais envie de faire. S. K. (1) Composé de sept morceau, Bozilo live est sorti fin mars 2009 (JMS/Anteprima), avec Bojan Z. (piano), Karim Ziad (batterie) et Julien Lourau (saxophone). (2) Avec Maalem Hamid El-Kasri au chant, l'album sorti fin 2010 (Accords croisés/Harmonia Mundi) comporte 12 titres.