Ils sont des milliers à faire des sit-in devant le siège de l'agence Saïd-Hamdine depuis 2009, dans l'espoir d'accéder à un logement décent. Ces hommes et femmes qui viennent faire la queue dès 9h chaque mardi et jeudi, jours de réception, jusqu'à midi, depuis 2009, ne veulent pas lâcher, après avoir versé l'apport initial de 10% du prix du logement, depuis 9 ans parfois. Ils font la chaîne devant le portail de la direction générale de l'AADL, calmes et disciplinés, l'air résigné. Dans cette foule de 100 hommes au moins, et une trentaine de femmes d'âge plutôt mûr, on trouve de tout : cadres bancaires moyens, marins, commerçants… Selon des témoignages crédibles, il arrive que les sit-in regroupent parfois des milliers d'hommes et de femmes devant les portes de la direction de l'AADL Saïd Hamdine. Liberté en a rencontré quelques-uns, tous des hommes, les femmes ne souhaitant pas s'exprimer sur le sujet. Liberté a pris également attache avec la responsable de la communication de l'AADL, qui a pu éclairer certains coins restés dans l'ombre. Un système de distribution très opaque La plupart de ceux qui patientaient devant le portail de l'AADL, ce jeudi 3 novembre, relèvent du site de Draria. L'un d'eux, Ahmed, vêtu d'un veston classique strict, cadre bancaire moyen, spécialisé en finances internationales, affirme : “Il s'agit d'un programme de logements AADL 2002. On a commencé à livrer les logements en 2009, sans le moindre critère. Il n'existe ni critères ni transparence dans l'attribution des logements achevés. Ailleurs, sur d'autres sites, on a attribué des logements avec des numéros. La décision d'attribution comporte le numéro de l'appartement, l'étage, tout. Ici, il n'y a rien. Initialement, le site de Draria comportait 1200 logements. Aujourd'hui, il en compte 1700. Normalement, l'AADL dispose d'un site web où tout est publié, mais on est obligé de venir ici, au siège de l'AADL, devant le portail où la liste des bénéficiaires devrait être affichée. On est traité comme du bétail. Une fois que nous sommes admis à l'intérieur de l'immeuble, nous donnons la décision d'attribution de notre logement à un agent AADL qui nous dit si, oui ou non, on a gagné notre logement, ou de revenir une autre fois ! Mais la question des critères d'attribution est entière : on a donné des logements à des jeunes, à des vieux, à des célibataires. La plupart des 1700 logements du site de Draria ont été attribués, il ne reste que 700 personnes qui attendent leur logement.” “Une répartition injuste, sans véritables critères” “Je viens, comme la plupart des présents, depuis deux ans, depuis 2009, tous les mardis et jeudis, jours de réception, pour tenter de savoir où en est mon logement. J'ai payé l'apport initial de 10% pour un F3, soit 14 millions de centimes. Le F4 coûte 170 millions. Quand nous avons vu que les logements étaient achevés, nous avons cru qu'ils allaient être distribués selon des critères bien définis, comme l'âge, le nombre d'enfants, etc. Finalement rien de tout ça n'a été pris en compte et n'importe qui peut obtenir un logement : jeune, vieux, célibataire, vivant ou mort !” Boualem, un autre bénéficiaire (bien que théorique !), du site de Draria dit : “J'ai payé la première tranche d'un logement AADL depuis 2003 et j'attends toujours d'entrer en possession de ce logement. Marié, 2 enfants, à chacune de nos visites, on nous dit la prochaine fois, c'est la bonne. Même le ministre de l'Urbanisme nous assurait en décembre 2009 que les logements allaient être achevés et livrés, puis en mars 2010, et nous sommes bientôt en 2012, sans rien voir venir !” Avec beaucoup d'humour, il conclut : “Je vais peut-être devoir marier mon fils avant d'obtenir mon logement. Même s'il finira, à force, par me prendre pour un menteur, à la place de l'AADL… En attendant, je loge chez mes beaux-parents qui sont très gentils, mais il faudra bien que je quitte ce logement, car ils ont aussi leurs enfants et leurs problèmes… Il me faudra chercher un logement à louer, et ce n'est pas évident. Un appartement à Aïn Naâdja, quartier pas vraiment fameux, ça va chercher dans les 25 000 DA/mois le loyer, et une année payable d'avance ! Une connaissance, un vrai frère, vous ‘fera une fleur' avec un loyer de 18 000 DA le F3. Quand je montre ma décision d'attribution de logement AADL, on me fait confiance, mais la garantie d'une année de loyer reste de mise.” Ahmed intervient de nouveau : “Quand il n'y a pas de transparence, c'est qu'il y a magouille !” Tous les présents l'approuvent, alors qu'il ajoute : “Je pense qu'on devrait supprimer le logement social : c'est fait pour les parasites et tous ceux qui ne font rien toute la journée, qui se construisent une baraque et attendent qu'on leur donne un logement qu'ils s'empressent de revendre, avant de reconstruire une autre baraque, une fois passée la durée d'incessibilité de 5 ans ! Le gros des logements est partagé entre des responsables qui les revendent, une fois l'incessibilité tombée ! Pourquoi ne met-on pas un fichier national du logement à jour ? Ainsi, ceux qui ont bénéficié d'un logement seront inscrits et empêchés de continuer à s'octroyer indéfiniment des logements. On parle de quotas du wali, ou d'autres responsables : en fait, c'est le peuple qui bénéficie de quotas. Le wali et les responsables prennent tout et abandonnent 5 ou 10% au peuple. En réalité, les logements sont détournés par des responsables pour être revendus, voilà tout ! Un logement est cédé, après quelques années d'incessibilité, au moins 1 milliard !” Mouloud, marin, aide-mécanicien, graisseur sur des navires de la marine marchande, affirme avoir commencé à naviguer dès l'âge de 17 ans. Il continue à travailler à 53 ans, après 36 ans de bons et loyaux services, sans avoir obtenu de logement. Il vit chez ses beaux-parents avec sa femme et ses deux enfants, dans une seule pièce. Lui aussi vient rituellement les mardis et jeudis faire la queue, sait-on jamais, mais sans trop y croire. “Quand il y a absence de transparence, les portes sont ouvertes à la magouille” Abdenour, quant à lui, affirme : “J'ai habité pendant 5 ans dans un appartement à Aïn Naâdja, bâtiment A de l'AADL. Cet immeuble dispose de 54 appartements, dont 35 habités par leurs véritables propriétaires. Deux filles de deux ministres ont bénéficié chacune d'un appartement modèle dans l'immeuble que j'occupais. On leur a enlevé les compteurs d'électricité, de gaz et d'eau, pour qu'elles ne payent rien ou qu'on ne vienne pas leur couper le courant en cas de non-paiement de facture ! Leurs appartements sont des logements-types, de ceux qu'on a fait visiter au président au moment de l'inauguration. Ces 2 appartements sont fermés. Sur les 54 appartements de l'immeuble, 35 sont habités. Je peux même citer les noms de ces locataires. Sur les 35 personnes, il n'y en a que 10 qui sont propriétaires, les autres louent chez ceux qui en ont bénéficié et qui habitent ailleurs. Au bâtiment A du site AADL de Aïn Naâdja, un propriétaire m'avait loué un appartement. Je suis marié et père de 3 enfants. Celui qui m'avait loué son appartement était célibataire et âgé de 55 ans.” Selon Mme Bourenane, responsable communication à l'AADL, “le site de Draria a connu énormément de contraintes qui justifient les retards cumulés dans les livraisons. Un premier contrat a été résilié avec l'entreprise chinoise COCTC, et un deuxième avec Slimane Haddad, entrepreneur libanais. Finalement, le chantier a été accordé à une entreprise chinoise (Gunsha), qui mène les travaux à un rythme soutenu”. Pour ce qui est des procédures d'attribution, selon Mme Bourenane, “il existe un comité composé de souscripteurs du site de Draria qui propose des noms qui présentent un caractère d'urgence. Ce comité donne une liste de noms, mais il existe une liste déterminée par l'AADL qui tient compte de critère d'âge principalement, puisqu'il faudra au bénéficiaire honorer ses engagements en remboursant ses traites. Il n'y a donc jamais eu de liste affichée par l'AADL”. “Le programme AADL 2001, toujours selon Mme Bourenane, du site de Souidania a été en partie livré.” Pour rappel, seuls peuvent prétendre à un logement les citoyens qui ont versé la première tranche. Comparable à une situation de siège où assiégeants et assiégés s'affrontent, il semble bien que le problème du logement continuera longtemps à hanter les nuits des demandeurs... à moins que nos décideurs interpellés sur ces dérives veuillent faire bouger les choses. Sur 183 000 demandes à Alger : Seuls 4 000 logements en cours de réalisation Voici la réponse de l'AADL sur ce programme qui suscite la colère d'une centaine de milliers de postulants : “65 000 logements sont prévus sur l'ensemble du territoire national, dont 4000 réservés à la wilaya d'Alger (2000 à Rouiba et 2000 à Réghaïa). Ne sont pris en compte que les souscripteurs qui ont effectué le premier versement de 10% (soit 140 000 DA pour un F3 et 170 000 DA pour un F4). L'AADL a pu inscrire au niveau de la seule wilaya d'Alger, entre 2001 et 2005 (les inscriptions ont été interrompues après 2005), pas moins de 183 000 demandes de logement.” Quant aux programmes AADL 2001-2002, ils ont été décidés en deux phases avec les lois de finances 2001 et 2002, au total 55 000 logements prévus. La plus grande partie a été achevée et livrée après des années de retard. Alors que des souscripteurs attendent depuis 9 ans : Des logements AADL inoccupés Des copropriétaires nous ont indiqué que dans certaines cités AADL, des logements sont encore inoccupés. Ils sont restés pendant neuf ans vides alors que ces centaines de milliers de postulants vivent dans de très mauvaises conditions à cause de ce problème. On recense 3 ou 4 logements inoccupés dans une cité AADL livrée en 2004 à Alger, confie un copropriétaire. Programme 2001 : L'injustice sociale consacrée ll Ils sont inscrits au programme 2001 de l'AADL. Depuis neuf ans, ils attendent leur affectation. En vain. Ballottés entres les services de l'AADL et de la Cnep Immo qui gère le programme 2003 de 65 000 logements, ils ne savent plus à quel saint se vouer. Au paroxysme de leur colère, ils sont outrés de savoir que des personnes moins âgées, des célibataires, donc à l'abri du besoin, ont reçu leur logement du programme 2002 ! Le comble est que des logements AADL sont sous loués au su et au vu de tout le monde. Les annonces sont réguilèrement publiées dans la presse nationale et sur le Net.