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La fille des Aurès 69eme partie
Publié dans Liberté le 14 - 11 - 2011

Résumé : Faouzi est enfin arrivé à la mosquée qu'on lui avait indiquée. On était au crépuscule, et après la prière, l'imam l'invite à siroter un thé. Faouzi dévoile ses intentions. L'homme de culte hésite, avant d'avouer au jeune homme que l'histoire du bébé retrouvé sur les escaliers de cette même mosquée lui avait été racontée par son père il y a plus d'un quart de siècle.
Faouzi serre les mains de son hôte :
- Raconte-moi tout ! Raconte-moi tout s'il te plaît cheikh. Au nom de Dieu, n'omet aucun détail.
Il sortit un papier et une photo de sa poche :
- Regarde cette photo… C'est celle de la jeune femme en question. Et ce papier que je n'ai pu avoir qu'après maintes interventions stipule que cette fille avait été remise à un orphelinat en cette date, puis en était sortie dix-huit années plus tard. L'avenir de cette femme dépend de son passé dont elle refuse de parler. Elle en a honte. Elle n'est qu'une victime bien sûr, mais elle refuse de vivre et ne veut entendre parler ni de mariage ni de sentiments… En fait, cette jeune fille survit. Elle a une personnalité inébranlable, mais notre société ne rate rien ni personne.
L'imam se remet à siroter son thé, marquant ainsi un temps d'arrêt et de réflexion.
Faouzi était assis sur des charbons ardents. Il prit une cigarette et l'alluma, inhalant profondément la fumée.
Il semblait nerveux et avait les mains qui tremblaient. La patience n'était pas sa tasse de thé. L'imam repose son verre :
- Qui ne me dit pas que tu ne cherches qu'une rançon comme tous les autres ?
Faouzi sursaute :
- Pardon ?
- Oui… il y a beaucoup de gens qui étaient venus voir mon père pour en apprendre plus sur le bébé.
Faouzi extirpe de la poche de son veston sa carte de presse et sa carte d'identité :
- Je te remets mes papiers. Tu pourras tout de suite prendre contact avec le journal et te renseigner sur moi.
L'imam repousse les papiers de la main :
- De nos jours, rien n'est sûr. Par contre, les traits d'un visage renseignent mieux sur la personnalité d'un individu.
Il sourit avant de poursuivre :
- Je vais te raconter tout ce que je sais sur cette histoire. Mon père n'avait pas été trop loquace là-dessus, mais j'en ai appris des choses au contact des villageois.
Il pousse un long soupir :
- Cela s'était passé en plein hiver, alors que les forêts étaient enneigées et qu'il faisait un temps à ne pas mettre un chien dehors. Les fidèles ne sortaient de chez eux que pour les prières quotidiennes. Au petit matin d'un jour gris, mon père qui officiait la prière de l'aube fut sidéré de découvrir qu'on avait déposé un petit carton qui contenait un nouveau-né de sexe féminin. Les fidèles l'avait découvert sur les escaliers de l'entrée. Il prit le bébé et le remet à ma mère, qui lui prodigua les soins nécessaires. L'enfant était frigorifié. Il n'était pas assez habillé pour affronter le froid, et pas assez robuste pour y survivre. On eut un mal fou à lui redonner des forces. Entre-temps, mon père et quelques sages de notre village entreprirent des recherches pour retrouver une quelconque trace des parents de cet enfant. Après quelque temps, la neige commença à fondre, et n'ayant rien trouvé comme piste salvatrice, mon père dut remettre l'enfant à un commissariat de police. Une enquête sera ouverte, et on lança des recherches plus poussées… Hélas, aucun indice sérieux ne sera trouvé. D'où l'obligation de remettre l'enfant à une institution d'état. On maudit Satan et on mit l'abandon de l'enfant sur le compte d'une “erreur” commise par un couple jeune et inconscient. Le dossier de ce bébé sera ainsi clos.
Des années plus tard, alors que j'ai pris le relais dans cette mosquée, ma femme vint me retrouver pour me dire qu'un homme était venu demander après l'enfant déposé sur les escaliers de la mosquée. Mise au courant, ma mère lève les mains au ciel et lance une prière :
“Que celui qui a commis le péché de détruire la vie de cet innocent soit maudit à jamais.”
Deux jours plus tard, un homme qui n'était pas du village demande après l'ancien imam. On l'orienta évidemment vers la mosquée, où je lui confirme que mon père était décédé depuis plusieurs années.
L'homme se frappe la tête :
- J'arrive en retard… J'arrive en retard. Que Satan soit maudit.
Je le tranquillise autant que je le put, mais l'homme semblait mal à l'aise et me lança d'une voix à peine audible :
“Je suis bien malade. Je n'en ai plus pour longtemps. Le remords me ronge et je veux corriger ma faute avant de me retrouver entre les mains de Dieu. La punition divine me fait rappeler chaque jour mon crime. Je veux faire quelque chose, afin que cette fille ne soit pas mise à l'écart d'une société qui ne pardonne pas de telles erreurs. Elle n'est que le bouc émissaire d'un coup monté, un manège machiavélique.”
(À suivre)
Y. H.


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