Les lignes bougent-elles au sein des pouvoirs arabes ? Déjouant les attentes, et surtout son habitude de ne rien déroger à la règle qui consistait à ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ses membres, la Ligue arabe, dont les ministres des AE tenaient réunion sur réunion au Caire au sujet de la crise syrienne pour essayer de sauver le régime de Damas, a finalement franchi le pas en suspendant ce dernier et demandé à l'armée syrienne de cesser de tuer des civils. La Ligue arabe a ainsi répondu aux demandes des opposants d'un de ses pairs, et pas des moindres, puisque le régime de Damas avait été jusque-là jugé indispensable, voire stratégique, dans l'échiquier arabe. Une décision qui sonne comme un camouflet sévère pour Bachar al-Assad, même si les représentants de ses pairs justifient leur position par le refus de celui-ci d'appliquer — comme promis par lui — le plan arabe de sortie de crise. Avant la Syrie, la Libye, également touchée par la vague des révoltes du Printemps arabe, avait été suspendue le 22 février des travaux de la ligue, avec la suite que l'on connaît. La ligue a, en outre, invité tous les courants de l'opposition à se mettre d'accord sur un projet commun, une façon d'annoncer la reconnaissance du CNS (Conseil national de transition syrien). La Ligue arabe souhaite rencontrer rapidement au Caire ses mandants. Le CNS, qui regroupe la majorité de l'opposition syrienne, s'est félicité de ces décisions. Les mesures votées samedi, auxquelles trois pays (Syrie, Liban et Yémen) se sont opposés, invitent également les Etats membres à retirer leur ambassadeur à Damas. En Syrie, des manifestants pro-régime ont mis à sac, samedi, l'ambassade d'Arabie Saoudite à Damas, et d'autres sont montés sur le toit de l'ambassade du Qatar, en signe de protestation contre la décision de la Ligue arabe. Les Occidentaux, l'Union européenne et les Etats-Unis en tête, ont réagi en saluant l'isolement croissant de la Syrie. Le président américain, Barack Obama, a applaudi à cette “étape importante.” Le ministre français des AE, Alain Juppé, a appelé la communauté internationale à entendre le message qui lui est adressé par les Etats arabes et à agir dans toutes les instances internationales appropriées, faisant allusion à Moscou et Pékin qui ont utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU contre des résolutions condamnant Damas. Comme pour la Libye, c'est le Qatar qui a pris la tête de la contre-offensive contre Damas. Et tout porte à penser que ce richissime émirat du Golfe n'en restera pas là. Le Qatar est, en effet, devenu, ces dernières années, une sorte de leader sur la scène arabe, coiffant sur le poteau les traditionnels poids lourds, tels que l'Egypte, préoccupée par son “Printemps”, ou l'Arabie Saoudite engluée dans son wahhabisme et rongée par la sourde guerre de succession de son roi affaibli par son âge et sa maladie. L'émirat s'est d'autant aventuré dans cette voie, qu'il a reçu l'onction des Occidentaux. Et il n'en est pas à son premier coup puisque sans l'émir du Qatar, l'Otan n'aurait pas pu intervenir en Libye. Cela dit, la répression de la révolte populaire en Syrie, qui a fait selon l'ONU plus de 3 500 morts depuis la mi-mars, n'a pas faibli durant la semaine de conciliabules entre la Ligue arabe et les maîtres de Damas, faisant notamment plus de 120 morts en 10 jours dans la seule région de Homs, un des foyers de la contestation dans le centre du pays. Le régime, qui ne reconnaît pas l'ampleur de la contestation, affirme lutter contre des “gangs terroristes” qu'il accuse de chercher à semer le chaos en Syrie ! C'est ce que disait Kadhafi… D. Bouatta