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La fille des Aurès 70eme partie
Publié dans Liberté le 15 - 11 - 2011

Résumé : Faouzi eut bien du mal à convaincre l'imam à lui narrer tous les faits sur le bébé que son père avait retrouvé, un matin d'hiver, sur les escaliers de sa mosquée. Le jeune imam consentira enfin à donner quelques renseignements et à informer son interlocuteur que, des années plus tard, un homme que le remords et la maladie rongeaient était venu le retrouver pour le même cas.
L'homme s'était mis à pleurer : “Vois-tu mon fils, aussi longue que sera notre vie, nos fautes finissent toujours par ressurgir. La passé nous rattrape pour nous torturer. Heureux celui qui fait du bien, car il aura la paix éternelle.” J'eus du mal à comprendre. Mais l'homme s'était levé et avait lancé :
“Je vois que ton père a remis le bébé à l'état, mais je ne pourrais m'adresser à un commissariat ou à un quelconque orphelinat sans soulever des questions. Je ne pourrais pas non plus m'adresser à la famille de l'enfant, car je risque de retourner en prison. Oui, j'ai passé les dix dernières années en taule. Vois-tu, la mauvaise graine survit toujours. J'ai volé, j'ai escroqué, j'ai trahi, mais je n'ai jamais tué… Jamais. J'ai été arrêté avec toute la bande pour trafic de drogue. J'étais pauvre, sans le sou, et la seule issue qui restait pour moi était de m'allier à ces groupes de malfaiteurs pour subvenir aux besoins de ma famille.”
L'homme avait le souffle court et portait sans cesse la main à sa poitrine :
“Ici… ici. Mon cœur ne tente de tenir le coup que pour le jour où je retrouverai cette enfant, afin de la remettre à sa famille.”
J'ai essayé de le raisonner, en lui expliquant qu'il y a des formalités à entreprendre afin de retrouver la trace de cette fillette, mais il refusa de m'écouter. Il avait peur et se mit à débiter son récit d'une voix tremblante : “Je suis fautif peut-être, mais je n'ai fait qu'exécuter les ordres de ces gens qui ne vivent que pour l'odeur de l'argent. On m'avait demandé de kidnapper l'enfant pour demander une rançon à la famille. Je voulais refuser, mais j'avais le couteau sur la gorge. On m'expliqua ce que je devais faire, et j'exécutais le plan sans faille. Je choisit le jour où on donnait la grande fête qui, dans nos coutumes, suivait chaque naissance pour procéder au kidnapping. Les véritables ravisseurs m'attendaient non loin de là. Le bébé avait faim et pleurait. Je le serrais contre moi. Sa petite frimousse commençait à bleuir. Je pris peur. Si ce bébé mourrait… à ce moment, je revoyais l'image de mes propres enfants, mais le courage me manqua… Alors au lieu de revenir sur mes pas et de rendre l'enfant à ses parents, je pris la poudre d'escampette et je me mis à courir à travers la forêt jusqu'au petit matin. Là, j'hésitais longtemps à remettre le bébé à l'imam en main propre, et à lui en donner tous les détails. Qu'allait-on faire de moi ? La police me rattraperait. Ou bien pire, la bande des malfaiteurs qui m'avait chargé de cette mission me tuerait sans remords. Qui s'occupera dans les deux cas de mes gosses à moi ? Alors je déposais le carton sur les escaliers de la mosquée. J'attendis que les fidèles en ressortent, et je ne me décidais à ne revenir sur mes pas qu'après m'être assuré que l'enfant était entre de bonnes mains. Je m'enfuis alors, en ayant gros sur le cœur. Un poids qui ne m'avait jamais quitté… jamais. Je pris ma famille. Je changeais de ville, mais le passé me rattrapait toujours… Je faisais des cauchemars à chaque fois que je fermais les yeux. Je travaillais avec des trafiquants de drogue. Je gagnais assez d'argent pour tenir encore quelque temps. Je me disais que je finirais par battre en retraite. Je prenais de l'âge, et seul un travail honnête allait me permettre de redémarrer à zéro. Hélas ! La malchance me collait à la peau. Au cours de ma dernière opération, la police mit la main sur toute la bande. Je fus ainsi jeté en prison, sans avoir pu revenir sur mes pas et donner l'adresse et le nom des parents du bébé en question à l'ancien imam. En apprenant sa mort aujourd'hui, je mourrais tous les jours mille fois, avant de rendre mon dernier soupir.”
- Je tentais de raisonner cet homme, reprit l'imam. Je lui expliquais que Dieu dans Sa clémence pardonne toutes les fautes, à condition qu'on les reconnaisse et qu'on ressente le remords, les regrets. Je voulais connaître la réalité, les origines de cet enfant, et entreprendre ensuite moi-même les démarches nécessaires. Mais l'homme refusa d'en dire plus. Il sortit de la mosquée en se traînant. Je restais perplexe un moment, tout en me demandant si j'avais eu affaire à un homme normal. Mais les détails étaient justes. Et même la date était exacte. Je ne connaissais absolument rien de l'homme, sauf qu'il venait de sortir de prison où il avait passé de longues années pour trafic de drogue. Je me demandais si je ne devais pas me rapprocher des services judiciaires pour le dénoncer et en apprendre plus sur lui. Ma femme m'en dissuada. Après tout, qui nous confirmera les dires de ce malheureux ? N'était-il pas revenu dans le seul but de reprendre l'enfant afin de faire chanter la famille une fois de plus ? En tout état de cause, nous avons appris que le bébé avait une famille, mais où se trouvait-elle et qui est-elle ? On n'en savait rien.
- Et cet homme ? Vous ne connaissez rien de lui ou de sa famille ?
- Absolument rien. C'est un homme que je n'ai jamais vu par ici, et s'il ne m'avait pas raconté son histoire, je n'aurais jamais su que c'était le ravisseur de ce bébé.
- à quand remonte votre rencontre avec lui.
- Je ne me rappelle pas bien. Peut-être à une dizaine d'années ou à une douzaine tout au plus.
(À suivre)
Y. H.


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