La lancinante question de la pénurie du médicament qui défraye la chronique ces derniers jours est différemment appréciée par les divers acteurs du marché national. Structures publiques et autres organisations professionnelles avancent leurs propres arguments pour justifier la non-disponibilité des produits pharmaceutiques dans les hôpitaux et les officines. Le Syndicat algérien de l'industrie pharmaceutique (Saip) estime que l'une des raisons à l'origine de ce manque est l'influence de lobbies des multinationales qui sont en train d'exercer un forcing pour leurs molécules. De la bouche de son président, le Dr Abdelkrim Djebbar, ces laboratoires étrangers disposent d'une armada de visiteurs médicaux qui maintiennent une forte pression sur le prescripteur. Pis, ils imposent même un schéma thérapeutique et exigent l'usage de leurs molécules. Ainsi, le “malade algérien se présente à la pharmacie avec une ordonnance sur laquelle est prescrit la molécule-mère ou le princeps, et le pharmacien lui signifie l'inexistence de cette spécialité. Or, de celle-ci, il existe au moins quatre copies sur le marché”, déplore Dr Djebbar. Ces sociétés effectuent également, dénonce-t-il, des manipulations chimiques. “Ils parlent de nouvelles molécules alors qu'ils n'ont changé que le radical”, relève le président du Saip. Tout en pointant un doigt accusateur en direction des laboratoires étrangers, le Dr Djebbar innocente le ministère de la Santé et déclare : “On ne peut accuser le ministère de mauvaise gestion quant à la disponibilité du médicament. Ce qu'il y a lieu de faire, en revanche, c'est d'assainir et de réguler ce créneau objet de convoitises. Il y a trop de visiteurs médicaux sur la scène.” Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé (Oms), il faut au moins 350 produits pharmaceutiques pour soigner une population donnée. En Algérie, cependant, il est recensé plus de 5 600 copies... La pharmacie centrale des hôpitaux (Pch) n'a également pas été épargnée par les intervenants au cours d'une émission télévisée diffusée lundi sur la chaîne satellitaire Canal Algérie. Nabil Mellah, président de l'Union nationale des opérateurs en pharmacie (Unop), reproche à la Pch ses retards dans les paiements. La PCH devient une Epic Un producteur de solutés massifs a carrément refusé d'approvisionner un de ses clients pour cause de non-paiement de ses précédentes factures pendant plus d'une année. Le président de l'Unop trouve inadmissible que des fournisseurs étrangers soient payés par la Pch dans un délai ne dépassant pas 59 jours, alors que les producteurs locaux, qui continuent de livrer leurs produits à cette structure même s'ils n'ont perçu aucun sou durant une dizaine de mois. M. Mellah propose à ce que la Pch paye les laboratoires étrangers par lettre de crédit et les industriels locaux par traites avalisées à 60 jours. Il relève des contraintes liées à la réglementation, aux lenteurs bureaucratiques pratiquées par les autorités elles-mêmes et à l'environnement des affaires en Algérie. La Pch souffre d'un découvert bancaire de 20 milliards de dinars, selon son DG, M. Chérif Dellih. De par son statut actuel, la Pch n'est pas en mesure de réguler le marché du médicament hospitalier. Ce qui a poussé le Premier ministre à décider de sa modification au cours du dernier conseil interministériel. Désormais, cette structure sera dotée d'un nouveau statut qui lui permettra, entre autres, de conditionner les médicaments, ce qui, par voie de conséquence, fera baisser les prix. Par ailleurs, le CIM a permis un stock de sécurité de six mois et une autre réserve pour un éventuel plan Orsec qui permettent de réguler le marché. Pour donner un nouveau souffle à la Pch, le CIM a accordé une enveloppe de 30 milliards de dinars sous forme de lignes de crédits bonifiés à 1% et remboursables sur 10 ans, ouvertes auprès de la banque. Dans un autre registre, le secrétaire général du ministère de la Santé, pour sa part, a parlé de 38 opérateurs débusqués pour surfacturation. Le Premier ministre a donné le feu vert pour que ces opérateurs indélicats soient dénoncés aux ministères des Finances et du Commerce. L'autre solution devant permettre le règlement, un tant soit peu, de cette problématique pénurie a trait à la création de l'agence nationale du médicament. Attendue depuis 2008, cet organisme n'a toujours pas vu le jour. Ce n'est qu'après le dernier CIM que la décision a été prise pour que ce projet connaisse une phase de concrétisation. Cette agence aura le statut d'entreprise publique à caractère industriel et commercial (Epic). Le dossier sera présenté incessamment au secrétariat général du gouvernement. Certaines prérogatives de la direction de la pharmacie au sein du ministère seront dorénavant dévolues à cette agence. Quand bien même cette agence assurera une certaine régulation du marché, elle ne peut, toutefois, résoudre de manière définitive l'épineuse problématique de la non-disponibilité du médicament. Badreddine KHRIS