Il est paradoxal de connaître une situation pareille avec une enveloppe de presque 2 milliards de dollars d'importation par année. Récemment, le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Djamel Ould-Abbès, a déclaré qu'il n'y aurait pas de pénurie de médicaments pour les maladies chroniques cet été. Il ajoutera même que tout médicament pourra être importé avec un caractère d'urgence (24 heures) en cas de nécessité. Ces déclarations du ministre, fraîchement installé, auraient dû rassurer, mais force est de constater que la réalité qui prévaut actuellement sur le marché des médicaments en Algérie ne présage pas d'un proche dénouement, puisque la rupture de stock de médicaments qui dure depuis longtemps, persiste toujours et risque de durer encore, selon les différents acteurs du marché. Par ailleurs, cette pénurie risque de durer puisque, comme l'expliquent certains professionnels, les laboratoires ne travaillent pas au mois d'août. Ce qui complique davantage la situation en matière de stocks. En effet, plus de 100 médicaments indispensables, dont ceux prescrits pour les malades chroniques, sont fréquemment en rupture de stock. La pénurie touche toutes les catégories de produits pharmaceutiques, des corticoïdes injectables aux pommades ophtalmiques, les sirops antitussifs, les antibiotiques, les antihistaminiques d'hormones, les collutoires, les vitamines, les contraceptifs. Le plus grave est que dans cette liste, se trouvent des médicaments qui n'ont pas de produits de substitution. Et ce n'est pas la mesure préconisant l'importation des médicaments indisponibles en 24 heures qui réglera le problème. Cette mesure ne peut être appliquée que pour l'importation urgente d'un produit, mais ce n'est pas une mesure qui peut être élargie à une liste d'environ 100 produits. Cela reste une mesure d'urgence exceptionnelle. Les raisons de ruptures de stock Non-signature à temps des programmes d'importation, détention d'exclusivité par certains importateurs, interdiction d'importer certains produits, rétention de stocks, vente concomitante et non-respect des engagements de certains producteurs à couvrir le marché national, ce sont là les différentes raisons avancées par les différents acteurs du marché, chacun selon son point de vue, bien sûr. Pour le Syndicat algérien de l'industrie pharmaceutique (SAIP), la rupture de stock des produits non essentiels n'est pas alarmante, mais pour les produits essentiels comme les anticancéreux qui ne sont pas fabriqués localement, la défaillance se situe au niveau de l'importation. Selon le SAIP, le producteur national souffre du manque d'accompagnement des pouvoirs publics. Au moment où la validation des programmes d'importation est traitée avec célérité, celui de l'importation des intrants des producteurs traîne. Par ailleurs, la liste établie en octobre 2008 n'a pas été actualisée et le comité de suivi censé suivre cette liste est resté inopérant. Pour le SAIP, c'est la conjugaison de tous ses facteurs qui fait qu'aujourd'hui, nous sommes dans cette situation. De son côté, l'Union nationale des opérateurs de la pharmacie (Unop) prévient que cette situation ne peut connaître de dénouement en de telles circonstances, allusion faite aux conditions imposées aux importateurs de produits pharmaceutiques par les pouvoirs publics. L'Unop estime que le manque de médicaments enregistré dans les pharmacies est dû à la difficulté d'approvisionnement du marché depuis l'instauration de l'obligation du recours au crédit documentaire. L'article 69 de la loi du 22 juillet 2009, portant loi de finances complémentaire, stipule que les paiements des importations s'effectuent obligatoirement au moyen du seul crédit documentaire. Dysfonctionnements graves dans la distribution Le Syndicat national des pharmaciens, pour sa part, estime que si ces ruptures durent, c'est qu'au fond toutes les solutions qui ont été apportées n'ont à ce jour pas été efficaces. Selon le Snapo, aucune évaluation du marché sur la disponibilité ou la non-disponibilité des médicaments suite à l'interdiction d'importation des produits fabriqués localement n'a été faite à ce jour. D'ailleurs, selon ces derniers, certains médicaments se trouvent aujourd'hui en rupture alors qu'ils sont interdits à l'importation et ne sont pas fabriqués localement. Il faut dire que les pharmaciens en ont gros sur le cœur. Ces derniers, qui estiment être les mieux placés pour définir les besoins du marché national, parce qu'ils connaissent la réalité du terrain, dénoncent une mauvaise gestion et un manque de transparence dans la gestion des médicaments en Algérie. Nous sommes les proies des opérateurs du marché, se plaint un pharmacien d'Alger-centre. Certains sont même allés jusqu'à acheter tout le stock d'un produit pour ensuite le distribuer à leur guise. Cette pratique est devenue courante. Le fait que certains importateurs soient en même temps grossistes amplifie le phénomène car le produit de leur importation n'est distribué que par eux-mêmes, d'où l'accentuation du phénomène de pénurie et de vente concomitante. Certains possèdent même leurs propres pharmacies, explique notre interlocuteur, qui ajoute que certains produits, comme le Temesta, sont en rupture de stock, alors qu'un délégué de Saidal, lui, a affirmé qu'il était en surstock chez le groupe pharmaceutique national. La grande dépendance à l'égard des importations L'Algérie, qui dépense des sommes colossales pour l'importation de médicaments, n'arrive à couvrir qu'à peine 38% de ses besoins par la production nationale. Il faut donc reconnaître que la dépendance de l'Algérie en matière de médicaments est flagrante. Selon de nombreux pharmaciens, les dispositions prises par le gouvernement, dans le but d'encourager la vente des médicaments génériques, a compliqué la situation, surtout que la plupart des médicaments interdits à l'importation ne peuvent pas être remplacés. L'entrée en vigueur de ces mesures a été faite dans la précipitation, alors que les laboratoires locaux n'ont même pas pris leurs dispositions pour répondre au manque flagrant de certains produits. Même s'ils ne sont pas d'accord sur les raisons de cette pénurie de médicaments, les producteurs nationaux, les pharmaciens et les importateurs s'accordent à dire, unanimement, qu'il est temps d'aller à la refonte fondamentale du marché du médicament.